Marc Morel, du poisson à la technologie

 Né en Picardie, Marc Morel a passé quelques années à Nantes mais c’est dans le Nord qu’il a exercé l’essentiel de ses activités. S’il fut quelques années durant le directeur de l’Ifremer Manche Mer du Nord, il a mis tout son savoir faire de biochimiste au service de la mise au point de techniques, pour l’identification du poisson mais aussi pour la purification des coquillages. Son credo aura été de donner à la recherche des moyens pour comprendre, soit dans le développement de nouvelles technologies, soit dans la quête de financements pour ces outils … un vrai passionné de recherche appliquée. 

L’identification du poisson

Dans les années 70, l’Institut Scientifique et Technique des Pêches Maritimes (ISTPM) avait en charge le contrôle sanitaire des coquillages et des produits de la mer (les conserves, salaisons, produits séchés, etc) sur tout le littoral français. Par secteur géographique un inspecteur, des contrôleurs sanitaires, et des enquêteurs faisaient des prélèvements de poissons et coquillages. Ceux-ci étaient ensuite analysés, et les résultats validaient la conformité ou non des produits. En 1977, les services vétérinaires ont pris en charge tout ce qui concernait le contrôle sanitaire des produits, agricoles et marins.

Biochimiste de formation, Marc Morel est recruté à Nantes en 1971 à l’ISTPM au laboratoire central d’analyses pour mettre au point une méthode de reconnaissance des espèces de poissons après transformation. Autant il est facile d’identifier un poisson lorsqu’il est entier (tête, nageoires, couleur des écailles, etc.), c’est plus difficile sous forme de tranche panée, en conserve ou fumé. En effet à l’époque, la seule technique connue était de « goûter » le poisson. Marc Morel se lance donc dans la mise au point d’une technique pour reconnaître les espèces de poisson à partir de 5 g de chair. Il choisit une première méthode basée sur l’électrophorèse des protéines car les protéines sarco-plasmiques (protéines du muscle) sont spécifiques à chaque espèce . Mais il ne s’arrête pas là. Il entend parler d’une nouvelle méthode mise a point par des danois, basée sur l’isoélectrofocalisation des protéines, et non sur l’électrophorèse. Cette méthode était reproductible, fonctionnait quel que soit le sexe et l’âge des poissons. Il fallait tout faire à la main, être très minutieux. « J’ai utilisé cette méthode pour constituer un catalogue des espèces par isoélectrofocalisation, ma première publication. C’est toujours utilisé à l’heure actuelle par les services vétérinaires, les laboratoires, la répression des fraudes, parce que c’est un méthode rapide, peu coûteuse, et qui marche ». La méthode a été utilisée en routine dès que les gens ont su qu’elle existait à la fin des années 70. Elle a été transférée au centre d’expérimentation et de valorisation des produits de la mer (CEVPM) de Boulogne, aux services vétérinaires, et bien sûr au Centre Ifremer de Nantes. Aujourd’hui, le Département Sciences et Techniques Alimentaires Marines (STAM) a encore amélioré la méthode en utilisant l’ADN, ce qui est plus fin, et plusieurs projets européens ont repris cette méthode. Les grosses entreprises de transformation de produits de la mer se sont équipées aussi, surtout quand ils importent des poissons. Même avec un certificat d’origine, il vaut mieux vérifier la provenance exacte de 10 tonnes de filets de « merlu du Cap » avant sa mise en vente.

Et d’autres recherches en biochimie

Seul biochimiste à l’ISTPM, il sera appelé à mettre au point d’autres techniques, d’autres recherches très concrètes pour diagnostiquer la fraîcheur d’un poisson, pour identifier un poisson congelé d’un poisson décongelé … des éléments indispensables pour la vente du poisson. « Finalement, j’ai toujours travaillé dans la biochimie, la biochimie des protéines, la biochimie de l’altération, la physico-chimie du muscle. »

Pendant une année il est en poste à la Trinité-sur-mer car il y avait eu une épizootie d’huîtres plates, due à Martelia refringis, un parasite qui décimait les huîtres. Sa mission est de caractériser l’infection par une méthode biochimique. « N’étant resté qu’une année, je n’ai pas abouti, mais j’ai contribué à faire avancer la science ! »

Retour dans le Nord

Marc Morel sentimentalement reste attaché au nord de la France, et il postule à un poste qui se libère à Boulogne. Il n’avait aucun autre candidat pour aller à Boulogne ! et il est nommé à Boulogne. Il devient inspecteur sanitaire pendant 2 ans, jusqu’à la fin des années 70. Et il développe sur Boulogne sa technique d’analyse ce qui a permis à l’ISTPM de Boulogne d’être référencé pour l’identification des espèces de poissons. Il obtient même de la Région Nord-Pas-de-Calais un appareil à isoélectrofocalisation complet. Boulogne devient le centre de référence pour les diagnoses d’espèces de poissons.

La fonction de chef de laboratoire

Et puis tout change. La création de l’Ifremer oblige à une réorganisation des services. Le contrôle des produits de la mer disparaît et d’autres missions sont dévolues à l’Institut.. Marc Morel prend la responsabilité de chef de laboratoire en environnement côtier. Il a apprécié cette fonction qui a quand même duré 20 ans ! C’était assez diversifié. Ce nouveau métier touchait à la gestion de réseaux, la recherche, et à l’avis/expertise. En effet, tous les projets d’aménagement sur littoral passaient par l’expertise du laboratoire, en collaboration avec des spécialistes des ports de plaisance, etc.. qui aidaient à formuler les avis. « L’équipe du laboratoire était assez dynamique, il y avait toujours quelque chose de nouveau. C’était toujours très vivant, ça prenait beaucoup de temps. »

La surveillance des eaux de la Manche

« Je me suis beaucoup investi dans les réseaux de surveillance de la qualité des eaux (Remi, Rephy, Rno, etc*), que j’ai gérés pour le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. En plus, j’ai mis en place des nouveaux réseaux régionaux notamment un réseau qui fonctionne toujours : le SRN, suivi régional des nutriments, car les nutriments n’étaient pas beaucoup analysés jusque là ». Avec l’Agence de l’eau, l’Ifremer a cofinancé ce réseau, qui sert à connaître l’état d’eutrophisation du littoral, en réponse à la Directive Cadre Ospar (0slo-Paris) qui fixe les quantités de substances (nitrate, phosphates, etc…) à de pas dépasser dans le milieu marin. Le réseau a été mis en place en 1990 et il fonctionne toujours. Il a même été étendu à la Normandie (RHLN = réseau hydrologique normand), et développé à la Tremblade et à Sète. Ces réseaux complémentaires sont cofinancés par la Région et l’Agence de l’Eau.

La purification des coquillages

A cette époque, le Nord-Pas-de-Calais connaissait des problèmes de qualité du milieu et de microbiologie. Toutes les plages étaient classées C ou D (momentanément polluées ou impropres à la baignade), et les coquillages qui baignaient à proximité étaient insalubres.. Marc Morel se lance dans le développement d’un nouveau process de purification des coquillages par UV, concept qui a été transféré à une station de purification des coquillages de Wimereux, à côté de Boulogne, dans les années 90 La station pompe l’eau, la décante, la stérilise par UV dans des chambres de stérilisation. L’eau purifiée arrive sur les coquillages, qui la filtrent. L’eau est repompée sur les lampes UV, qui stérilisent l’eau à nouveau, et ainsi de suite en circuit semi-fermé. Les coquillages sont purifiés en 48h (ils passent de 3000 à moins de 300 coliformes fécaux), et on peut les commercialiser vivants. Cette station privée, financée pour moitié par le région, traitait tous les coquillages du nord-Pas-de-Calais.

Mais, Boulogne c’est la pêche

A Boulogne en 1979, on pêchait encore 100 000 tonnes de poisson. Actuellement, on ne pêche plus que 40 000 t maximum. C’est un facteur économique très important et qui a marqué les relations avec les professionnels. Quand il y avait beaucoup de ressources, il n’y avait pas de gestion des pêches (ou elle était balbutiante). Les pêcheurs n’avaient pas de problèmes de revenus, et donc pas de problèmes avec les scientifiques ! Les campagnes de l’ISTPM ont montré que les quantités commençaient à baisser. Cela a mené à l’instauration de la politique des pêches européenne avec une gestion par tacs (total admissible …) et quotas qui étaient à la baisse régulièrement depuis l’instauration de cette politique. Les relations avec les professionnels sont devenues tendues Quand il y a eu de moins en moins de poisson, il a fallu l’expliquer

Et la charge de Directeur du Centre de Boulogne

Et en 1999, Marc Morel devient le directeur du centre de Boulogne qui s’appelle désormais Manche-Mer du Nord. C’est un petit centre, mais il touche quand même 4 régions (Nord-Pas-de-Calais, Picardie, Haute Normandie, Basse Normandie) et 2 implantations (Boulogne et Port-en-Bessin) distantes de 350 km. Les directeurs de centres travaillent avec les régions, assurent la représentation de l’Ifremer, la gestion du personnel, le comité de direction au siège, les réunions avec les professionnels, mais aussi le management des équipes en relation avec les départements.

A l’époque, le directeur du Centre doit s’occuper du Contrat de Plan Etat Région (CPER 2000-2006)et donc de défendre des projets de l’Ifremer. Il y a un beau projet « Marel-Carnot » Il s’agit d’une station automatisée qui mesure la qualité du milieu marin automatiquement à un point donné toutes les 20 minutes. Le but est d’avoir beaucoup d’analyses car elle donne une appréciation de la qualité du milieu marin complète (les paramètres physico-chimiques classiques, plus tous les nutriments, et en plus les résultats sont envoyés par télémétrie. Cette station est implantée dans le port de Boulogne et fonctionne très bien depuis 2004.

A Boulogne, c’est l’halieutique qui était le laboratoire phare. Il l’est toujours aujourd’hui, mais économiquement parlant, l’halieutique n’est plus la seule problématique importante. On s’est diversifié vers ce qui est environnement, technologie marine, off-shore, énergies nouvelles. « La fonction de directeur de centre est très prenante, très intéressante aussi. Finalement, je suis passé d’une équipe de 10 personnes à 40, ce n’est pas la même gestion. Mais quand on connaît bien le gens, on y arrive.! »

* REMI : Réseau de surveillance Microbiologique – REPHY : Réseau de surveillance du Phytoplancton – RNO : Réseau National d’Observation 

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