Annie Pastoureaud, un certain goût pour les devinettes
La nutrition des poissons à Marseille, celle des huîtres à La Rochelle, le développement de l’algue Alexandrium à Sète. Trois grandes étapes marquent le parcours de Annie Pastoureaud, qui a toujours pris plaisir à tenter de répondre à des questions de recherche. En veillant à ne jamais trop s’éloigner de la Méditerranée.
Annie Pastoureaud est arrivée en France à seize ans, dans le sillage des « événements » d’Algérie, selon les euphémismes des discours de l’époque. La Méditerranée est son pivot et la mer, le sujet sur lequel elle a toujours voulu travailler. Après la fac à Bordeaux, elle a gagné Marseille en 1969, pour compléter sa maîtrise de biologie par un DEA d’océanographie. Employée à l’origine par l’université de Marseille pour le compte du Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo), elle est restée toute sa carrière très proche des milieux universitaires. Un peu à part au sein de l’Ifremer, d’un abord franc et engageant, Annie Pastoureaud a fait de la recherche sans chercher les honneurs.
Alexandrium, l’intrigante
« J’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir des pistes de réponse aux questions sur lesquelles je travaillais », résume-t-elle. Elle est précisément en train de parvenir à un début d’application des résultats des recherches qui l’occupent depuis son arrivée à la station Ifremer de Sète, en 2001 : la prolifération de l’algue toxique Alexandrium dans l’étang de Thau. Le phénomène a la fâcheuse tendance de survenir notamment à quelques semaines de la grande période de commercialisation des huîtres pour les fêtes de fin d’année. Cela ne se passe jamais sans remous, les interdictions de vente prises par la préfecture frappant les revenus des producteurs. Depuis 2001, donc, en étroite collaboration avec une équipe de l’université de Montpellier, Annie Pastoureaud étudie le comportement de l’algue, tentant de comprendre quelles sont les conditions environnementales et météorologiques associées à son développement. Cinq années d’observation ont permis de formuler une série d’hypothèses : l’algue se développe dans une petite crique à la faveur d’un temps calme de plusieurs jours, par une température de vingt degrés, puis le vent la transporte dans les parcs à huîtres de l’étang. Pas n’importe quel vent… Les chercheurs en savent maintenant assez pour imaginer un système d’alerte basé sur les prévisions météorologiques. L’objectif est d’avertir les professionnels à temps pour qu’ils puissent mettre leurs huîtres à l’abri durant la période de fermeture, pour ceux toutefois qui ont des structures extérieures ou des bassins. L’équipe de recherche tente d’avoir la vision la plus juste possible de ce qui se passe et de ce qu’il est possible de prévoir.
Cerner le réel
La prévision passe par la modélisation, par la représentation statistique et mathématique du réel. Le développement d’Alexandrium, comme de tous les dinoflagellés, est très influencé par la physique et l’hydrodynamique. « C’était logique de se brancher avec les physiciens, donc avec la modélisation physique. » Aussi un post-doctorant a-t-il été recruté pour la partie modélisation et analyses statistiques. « Il a déjà démontré statistiquement combien de jours de temps calme il faut, et cherche maintenant, en utilisant le modèle MARS3D, à savoir quel type de vent déclenche la contamination des huîtres en transportant les cellules toxiques dans les parcs. Mais il ne suffit pas que le modèle fonctionne globalement, il doit être validé par des mesures de terrain pour être utilisé pour la prévision » Petit coup de patte en direction des « mordus de la modélisation », qui en font un but en soi, oublient qu’il est un outil de recherche et négligent quelquefois les mesures qui sont le lien indispensable avec le réel.
Les liens universitaires
Annie Pastoureaud est arrivée à Sète mise en garde contre le fait qu’elle risquait de ne plus y faire de recherche, ce laboratoire étant fortement impliqué dans la surveillance. Mais ses collègues de Sète avaient préparé pour elle un programme sur le problème émergeant (et brûlant !) des blooms d’Alexandrium, en collaboration avec une équipe de l’université de Montpellier, déjà partenaire du laboratoire de Sète. Elle a pu ainsi poursuivre dans la voie de la recherche. « Faire de la surveillance environnementale, ça ne me conviendrait pas. Les laboratoires de surveillance, comme celui de microbiologie de Sète, fonctionnent de façon très institutionnelle, avec des accréditations. Je comprends que cela soit nécessaire, mais ce n’est pas le métier que je fais. A mon sens, ça tue l’imagination. » Imagination, un mot clé de mai 1968 ! De fait, Annie Pastoureaud a gardé des liens très étroits avec le monde universitaire, dont elle faisait partie en cette période tumultueuse. Dans la foulée du DEA d’océanographie de Marseille et d’une thèse de spécialité, elle a travaillé pour le compte du Cnexo sur la nutrition des poissons d’élevage, au sein de la station marine d’Endoume. « Nous mettions au point des formules d’aliments pour l’aquaculture des poissons marins, qui commençait à peine en France. J’ai beaucoup changé d’orientation dans mes recherches par la suite, mais je ne pense pas qu’il y ait eu de progrès significatifs concernant les rendements de ces aliments : les élevages intensifs ont des impacts environnementaux non négligeables. » Intégrée durablement au Cnexo en 1977, Annie Pastoureaud est tout de même restée à la station marine d’Endoume jusqu’en 1984, date à laquelle elle a rejoint un groupe de personnes de ce laboratoire qui constituait le noyau de départ du Crema (Centre de recherches en écologie marine), premier laboratoire mixte Centre national de la recherche scientifique (CNRS)-Ifremer.
Une longue parenthèse
Dix-sept ans, c’est un peu long pour une parenthèse ! De 1984 à 2001, celle qui ne voulait pour rien au monde aller à Brest, tout au plus à La Rochelle, se sera tout de même éloignée un peu de la Méditerranée. Sollicitée initialement pour étudier la possibilité de développer des élevages de poissons dans les marais charentais, elle a été appelée, comme le reste de l’équipe, à bifurquer vers la conchyliculture. L’incertitude qui pesait sur les priorités thématiques du laboratoire au cours de ses premières années n’a pas toujours été facile à vivre. « Il fallait trouver sa place. Personnellement, ça ne m’a pas gêné de passer de la nutrition des poissons à la nutrition des huîtres. Cela posait des questions intéressantes sur le tri qu’elles sont capables d’effectuer entre les différentes classes de phytoplancton », explique Annie Pastoureaud. Durant cette période, elle a souvent eu les pieds dans la vase, mais n’a guère côtoyé les producteurs. « C’était vraiment de la recherche tournée vers la connaissance, avec beaucoup de recherches sur le terrain. » A L’Houmeau, elle a traversé la fusion de l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM) et du Cnexo au sein de l’Ifremer. « Les choses n’ont pas été simples sur place, parce que les deux équipes n’avaient pas le même rapport à la hiérarchie, la même manière de travailler. Mais c’était bien plus des problèmes de structures que de personnes », estime-t-elle.
Un relatif confinement
Le Crema étant un laboratoire mixte entre l’Ifremer et le CNRS, il offrait une diversité plaisante. D’autant que l’appartenance du personnel à l’une ou l’autre institution était parfaitement gommée : « Nous travaillions indifféremment avec l’un ou l’autre, formant des associations qui variaient en fonction des questions de recherche. » En revanche, Annie Pastoureaud a regretté le relatif isolement du laboratoire : « Quelle différence par rapport au laboratoire marseillais d’où je venais ! La présence d’étudiants par les liens avec une grande université, je crois que c’est très important pour un laboratoire. » C’est justement par le co-encadrement d’une thèse sur l’alimentation des huîtres perlières qu’elle a eu l’occasion de quelques jolies escapades. Les missions qu’elle a faites en Polynésie et particulièrement sur l’atoll de Takapoto (Tuamotu), vers la fin de son séjour près de La Rochelle, restent des moments d’évasion marquants.
Appliquée ou fondamentale ?
Interrogée sur la finalité sociale de la recherche, Annie Pastoureaud répond qu’elle n’a pas d’a priori. « C’est intéressant d’être contraint d’aboutir à quelque chose de très précis, comme une formule d’aliment qui soit cohérente avec la fonction de coût du producteur tout en tenant compte des conséquences de l’élevage sur l’environnement. C’est aussi intéressant que de comprendre pourquoi les huîtres de Takapoto grossissent alors qu’il ne paraît rien y avoir dans l’eau ! » L’important est d’apporter des réponses fiables aux questions posées. De la même manière, elle n’a pas eu de préférence entre le terrain et la paillasse. La part du terrain est allée croissant dans son activité au fil des changements de thématique, l’étude d’Alexandrium l’amenant très régulièrement à sillonner l’étang de Thau. « La logistique est vraiment bonne, les bateaux nous attendent juste devant le laboratoire. Cela nous permet d’être souvent sur l’eau. Mais il faut avouer que l’étang, c’est un peu lassant ! », s’excuse-t-elle. Par contraste, dans ses années marseillaises, le terrain se limitait à longer les bacs pour nourrir les poissons. A l’époque, elle y trouvait son compte : « J’avais le mal de mer, quand j’étais jeune… Cela m’est passé, après. »
Les mots à la mode
Annie Pastoureaud ne s’étend guère sur son parcours. Sans doute est-ce parce qu’elle joue collectif. Pour elle, une personne seule n’est jamais en mesure de répondre à une question, qu’elle soit de société ou de recherche. « Ce sont des mouvements de pensée, de connaissance, des avancées, auxquels chacun peut contribuer. » Alors, a-t-elle contribué, par exemple, à faire progresser la cause de l’environnement, de la biodiversité ? « Travailler sur une micro-algue comme Alexandrium, qui peut éliminer toutes les autres autour d’elle, c’est se préoccuper de biodiversité ; se poser la question de la sélection, de l’action prédatrice des huîtres sur le phytoplancton aussi, mais ce n'est pas considéré comme un thème relevant de la biodiversité ! » Elle se méfie de ces mots, qui lui semblent surtout affaire de mode. « Flux de carbone, écosystème, biodiversité, changements globaux … Au cours de ma carrière, j’ai vu passer un certain nombre de notions, qui doivent figurer dans un programme pour espérer obtenir un financement. Des mots magiques. » Si Annie Pastoureaud s’est particulièrement amusée à tenter de résoudre le mystère Alexandrium, c’est peut-être aussi parce qu’elle l’a fait un peu en marge des circuits institutionnels, à distance des mots magiques.