Geneviève Arzul, débusquer les toxines

Geneviève Arzul tient sa sensibilité aux questions d’environnement d’une tradition familiale rurale et du choc éprouvé face au naufrage du pétrolier Torrey Canyon. Suivre la qualité du milieu marin est le fil conducteur de sa carrière, de l’étude d’impact des centrales nucléaires à celle des algues toxiques et des pesticides.

Elle a fait le tri dans ses documents scientifiques lors de son départ à la retraite. L’exercice se révèle difficile, tant chaque papier utilisé, chaque donnée recueillie, chaque texte rédigé semble pouvoir servir encore et devoir être transmis. Geneviève Arzul s’est astreinte à cette tâche pour ne pas être lestée de son passé. Elle y a gagné une compréhension rétrospective de son parcours, qui l’a menée de la terre à la mer sous l’effet de la montée en puissance des préoccupations environnementales.

Un déclic

Bretonne côté campagne, attachée à une vie proche de la nature, Geneviève Arzul se serait bien vue agricultrice. Elle fit ses études à Brest « sans trop savoir », dit-elle. Elle se sentait une affinité avec la biologie, aimait assez la chimie. « Le travail de laboratoire me plaisait. Mais comme j’avais de bons résultats, j’ai poursuivi mes études universitaires au-delà de ce que j’imaginais au départ. » Deux facteurs déterminèrent son choix. Le premier fut l’enseignement d’un professeur de biochimie passionnant. Le second, le naufrage du pétrolier libérien Torrey Canyon, armé par une filiale américaine de l'Union Oil Company of California, entre les îles Sorlingues et la côte britannique, le 18 mars 1967. « Les effets de la marée noire sur la nature, sur les côtes de granit rose, étaient désolants. Je crois aujourd’hui que c’est cela qui m’a sensibilisée. »

De la biochimie à l’hydrologie

Geneviève Arzul poursuivit donc ses études en biochimie à l’université d’Orsay, en région parisienne. Elle songeait apparemment déjà à se spécialiser dans le milieu marin, car elle préparait en parallèle un certificat d’océanographie. Cette couleur marine la mena à Arcachon, où elle débuta ses travaux de recherche sur les analyses des détergents dans les eaux du Bassin d’Arcachon. Elle soutint sa thèse sur ce sujet en 1974, année de la construction de la centrale nucléaire du Blayais. « L’université de Bordeaux, dont je dépendais, m’a alors embauchée pour travailler sur l’étude d’impact de la centrale sur la production primaire. Nous avons conclu à l’absence d’effets sur le phytoplancton, car dans l’estuaire la forte teneur de l’eau en limon est défavorable à la photosynthèse ». En revanche, la construction de centrales le long des côtes de la Manche s’opérait près d’un milieu marin très riche en activités biologiques. Les risques potentiels nécessitaient d’être évalués de près, si bien que Geneviève Arzul fut invitée à quitter Bordeaux pour Brest.

Une cohésion forte

A partir de 1977, Geneviève Arzul travailla ainsi sous contrat de l’université de Bordeaux pour le compte du Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo), qui l’intégra effectivement en 1980. L’effectif du centre était déjà important, avec plus de quatre cents personnes, mais la cohésion demeurait forte. Geneviève Arzul a le souvenir d’équipes « très soudées, sans doute parce que nous faisions beaucoup de missions sur le terrain ; les gens ne montrent pas le même visage selon qu’ils sont en laboratoire, sur l’estran à mesurer des algues ou en bateau à faire des prélèvements ! », s’amuse-t-elle. La durée des campagnes n’excédait généralement pas deux ou trois jours, mais leur fréquence était élevée.

Les algues toxiques

En 1982, à la naissance de la troisième de ses quatre filles, Geneviève Arzul décida de prendre un congé parental, que le gouvernement mettait en place en même temps qu’un certain nombre de mesures destinées à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. A son retour, deux ans et demi plus tard, les sujets de recherche avaient changé. « Les programmes EDF étaient devenus très minoritaires, la priorité étant désormais les algues toxiques, dont on parlait peu auparavant. J’ai fait plus de biologie et de physiologie, étudié les toxines algales, et mis au point un test hémolytique pour détecter certaines toxines dans l’eau », résume-t-elle. Ses travaux l’amenèrent à rechercher les facteurs ou les activités humaines susceptibles d’agir sur le développement du phytoplancton, et conditionner les différentes espèces. « La qualité du milieu est devenue prépondérante dans les préoccupations scientifiques. Progressivement, j’ai abouti à l’écotoxicologie en milieu marin. » Geneviève Arzul a ainsi élargi son champ d’analyse, notamment aux pesticides, « parce qu’en Bretagne nous en utilisons tellement », regrette-t-elle. L’approche était double, à la fois locale et générale. « Nous avons pu comparer, par exemple, l’effet de conditions climatiques sur le développement des algues toxiques au Chili et en Bretagne, et montrer que l’hydrodynamique est le facteur déterminant. Quand les eaux sont brassées, les algues ne peuvent pas former de populations denses ».

Un métier fort

Les évolutions survenues après le congé parental de Geneviève Arzul ne portaient pas que sur les sujets de recherche. L’utilisation de l’informatique et de l’ordinateur a beaucoup contribué à isoler chacun, même si de nombreuses étapes dans le travail ont été améliorées : rapidité, exploitation de résultats, qualité des présentations et quantité d’informations échangées avec des partenaires éloignés. Cette atomisation n’a pas dénaturé le goût que Geneviève Arzul avait pour son métier. L’attrait de la découverte n’a pas faibli. Peu importait que les questions élucidées soient parfois mineures, qu’il arrive de rester longtemps sans avancer, de découvrir parfois ce que d’autres avaient déjà trouvé. « C’est très enrichissant intellectuellement. Il faut faire marcher son imagination, échanger avec d’autres personnes, faire de la bibliographie pour repérer ce qui a déjà été trouvé. » Il faut aussi parcourir la côte, en France mais aussi, ponctuellement, à l’étranger. En 1993, Geneviève Arzul se rend au Chili pour dispenser une série de cours. Elle découvre des façons de faire différentes, des conditions de travail beaucoup plus difficiles. « Je me suis rendu compte que nous étions vraiment privilégiés à l’Ifremer. » Au cours de cette mission, elle noue des liens durables avec des scientifiques chiliens, qui lui serviront lorsqu’elle aura la charge d’un projet de coopération européen.

Aquatoxsal

La coordination de ce projet entre le Chili, l’Argentine, l’Allemagne et la France est un temps fort de sa carrière, celui sans doute qui l’a vraiment épanouie dans son travail. L’objectif du projet Aquatoxsal, pour aquaculture, environnement et phytoplancton marin, était d’étudier l’impact des structures d’élevage aquacole sur le milieu. Geneviève Arzul a trouvé passionnant d’encadrer les équipes, de mettre les résultats des uns et des autres en perspective, de porter le projet d’un bout à l’autre, jusqu’au congrès de restitution des conclusions, en 2001. « Pour moi, c’était une reconnaissance scientifique, au-delà de l’Ifremer. » L’institut n’avait d’ailleurs guère soutenu le programme, parce que la coopération avec les pays émergents, parmi lesquels était rangé le Chili, n’entrait pas dans son champ d’action.

Des hommes et des femmes

A la suite d’Aquatoxsal, forte des relations nouées à l’extérieur, Geneviève Arzul avait envie de prendre plus de responsabilités. « Je n’avais pas souhaité le faire plus tôt, quand j’étais très prise par mes enfants. Là, c’était le moment rêvé. » Le directeur du département Littoral lui avait justement précisé de présenter sa candidature au poste de responsable de laboratoire, occupé jusqu’alors par une personne qui changeait de fonction au sein du département. « Nous nous entendions très bien, cela aurait parfaitement fonctionné. Mais je n’ai jamais eu de réponse à ma lettre, et c’est finalement quelqu’un d’autre, en opposition avec la personne qui changeait de responsabilité, qui a pris le poste. Un homme. » Geneviève Arzul évoque cet épisode sans acrimonie aucune, mais avec lucidité. « Les femmes ont toujours été nombreuses en biologie, et souvent dominées par des hommes. »

La place de l’écotoxicologie

Au final, sa plus belle reconnaissance, c’est l’assurance que les recherches qu’elle menait vont être poursuivies. Elle n’est pas remplacée officiellement mais, dans les faits, une jeune femme va poursuivre au centre nantais de l’Ifremer les travaux concernant l’impact des rejets de pesticides sur la production primaire et la sélection des espèces. « Elle va développer ce que je n’ai pas su faire parce que les technologies ont évolué et que je n’ai pas été formée à la biologie moléculaire. Ce gage de transmission, c’est vraiment très important. » Geneviève Arzul est confiante, convaincue que l’écotoxicologie a beaucoup d’avenir. « Rejeter comme nous le faisons des produits dans la nature est dramatique. Pour ne pas atteindre le point de non-retour il est indispensable de connaître les effets de ces rejets sur le fonctionnement des écosystèmes.

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