Gilbert Mouillard, l’homme de l’Ifremer à Paimpol
Le contrôleur de l’Institut des Pêches
Ses parents lui ont dit « si un jour tu peux rentrer dans l’administration, vas-y ». Dans sa génération, les hommes rêvaient de rentrer dans la fonction publique, surtout quand ils n’avaient pas fait d’études supérieures. Le 17 février 1979, Gilbert Mouillard a été recruté à l’Institut des Pêches (ISTPM) à Nantes à la suite d’un concours où il a été reçu avec 6 autres personnes pour remplir des emplois de « contrôleurs » dans des postes isolés sur la côte. Ce travail consistait à contrôler les établissements conchylicoles (ostréiculture et mytiliculture) et à leur octroyer un agrément en fonction des normes de l’époque telles que des ateliers propres, des surfaces étanches, et un bassin insubmersible avec une prise d’eau agréée. Une part importante du travail était dédiée à la vente des étiquettes sanitaires, étiquettes obligatoires pour la vente des coquillages et autres fruits de mer. Cette vente impliquait aussi tout un travail administratif et comptable en aval. Cette fonction de contrôleur a disparu avec la création de l’Ifremer (1984) et a été récupéré par d’autres administrations. Pour Gilbert, ce statut de contrôleur était assez ambigu et lui conférait une « casquette » d’autorité qui ne seyait pas forcément au jeune recruté.
Les premières années d’expérience
Gilbert Mouillard a eu sa première affectation à Dieppe, mais au bout d’un an et demi il a demandé sa mutation en Bretagne ; et c’est à Paimpol qu’il est arrivé. Durant ses premières années de contrôleur, il a découvert la profession. Dans son bureau de Paimpol où il assurait des permanences, les professionnels venaient acheter des étiquettes sanitaires. Il allait également dans les établissements ostréicoles pour faire les agréments et les contrôles. De l’établissement à la maison, il n’y avait souvent qu’un pas, et c’est souvent, en famille, autour d’un café ou d’un coup de rouge que se remplissaient les documents.
Ses déplacements se faisaient dans son véhicule personnel car il n’y avait pas de véhicules de service ; dans le bureau il n’y avait pas de moyens informatiques, juste une machine à écrire dont il ne savait pas se servir et une calculatrice. Ses outils, c’était une balance Roberval, deux blouses, une paire de bottes et une montagne d’imprimés à remplir : « qu’avez-vous fait cette semaine ? qu’avez-vous fait ce mois-ci ? Il n’y avait bien sûr pas de photocopieur ; il fallait aller à la librairie ou la papeterie. Il n’y a pas toujours eu le téléphone. C’était une période de grande débrouille. »
Et la fonction change avec l’Ifremer
En 1984, lors de la création de l’Ifremer, la fonction de contrôle est récupérée par les Services Vétérinaires. Parallèlement les réseaux de surveillance et de suivi se sont mis en place. Le responsable de la station de Saint-Malo, Patrick Le Mao, dont dépendait Gilbert Mouillard, a incité ses agents à mieux connaître l’estran pour anticiper les changements à venir que seront la mise en place des grands réseaux de surveillance : REMI (réseau de surveillance microbiologique) et REPHY (réseau de surveillance du phytoplancton). Le métier a évolué donc rapidement. Il fallait couvrir tout le secteur, et mettre en place des points de suivi de la surveillance. Cela supposait de faire des prélèvements sur toute la zone géographique pour ne pas passer à côté d’un phénomène ou d’un site où il y aurait des particularités, aussi bien en matière de prélèvements de coquillages (REMI), qu’en matière de prélèvement d’eau (REPHY).
Et les réseaux se mettent en place
Une fois les réseaux positionnés, les points de prélèvements se sont mis en place, en fonction des affinités avec les professionnels. Sur une même zone, il est plus facile d’aller « chez un gars sympa où les ouvriers nous connaissent. Je dis bonjour de loin et je fais mon prélèvement en toute liberté ». Puis les générations ont changé. Le fils a remplacé le père et les contacts se sont perdus. Les choses ont été plus hiérarchisées, les circuits ont été bien définis. Aujourd’hui, s’il y a des mortalités, les ostréiculteurs font passer les informations par les Affaires Maritimes qui demandent à l’Ifremer d’intervenir. Le contact avec la profession a ainsi évolué.
Le secteur de Paimpol a été assez épargné par les mortalités car il y a moins de concentrations que dans d’autres zones. Par ailleurs la température de l’eau est peut être moins propice à la propagation et au développement des maladies. La plupart des professionnels qui ont des concessions sont des « étrangers », vendéens, charentais, arcachonnais, normands et peu sont du cru. « Ils n’ont pas le temps et ne me connaissent pas. Savent-ils seulement que l’Ifremer a une implantation à Paimpol ? »
La surveillance aujourd’hui
Le travail d’un « opérateur de terrain » aujourd’hui, c’est 1/3 en voiture, 1/3 au bureau et 1/3 sur le terrain. Sur le terrain, il est presque tout le temps seul. Après une demie heure de voiture et 20 mn de marche, il arrive sur le parc. Il sait exactement où il va prélever. Il dit bonjour au loin. Il fait son prélèvement. Il revient à sa voiture. Il met le prélèvement dans une glacière à la bonne température. Il refait 25 mn de voiture en se dépêchant pour que la glacière parte à temps pour le laboratoire de microbiologie.
C’est un travail assez solitaire. « J’aurais passé 32 ans de ma vie comme un ours » révèle Gilbert Mouillard, mais avec avantages et des inconvénients mais des aspects positifs comme celui de mener son travail comme il l’entendait, sans contrainte.
Malgré la distance, un esprit d’équipe
Toutes ces années, Gilbert Mouillard a été rattaché administrativement à la Station Ifremer de Saint Malo. Cette équipe, il l’aime bien : « Au sein de l’Ifremer, l’équipe de Saint Malo était notoirement connue pour la qualité de son travail, pour sa cohésion et sa bonne humeur ». Cette équipe elle est à 1h30 de Paimpol. Régulièrement ils viennent faire des tournées sur la côte, arrivant le matin et repartant le soir ; et une fois par mois, ou tous les deux mois, c’est Gilbert qui va passer la journée à Saint Malo, aujourd’hui Dinard, pour une réunion de travail. Ainsi régulièrement l’équipe, dispersée sur deux départements et plusieurs centaines de kilomètres de côtes se retrouvent autour d’un café ou verre, d’une assiette de pâté ou d’une araignée fraîche.
Les relations entre hommes sont cordiales aussi. C’est grâce à Michel Rougerie* que Gilbert Mouillard est entré à l’Institut, et ils resteront jusqu’au bout très proches puisque Michel a longtemps été en poste à Saint-Brieuc. Mais Patrick Le Mao, son responsable de laboratoire pendant 15 ans a joué un rôle important dans sa vie professionnelle. Cette relation , dit Gilbert, est faite de respect mutuel et de contact humain. Gilbert Mouillard pense aussi avoir bénéficié à son poste de l’aura scientifique de Patrick Le Mao auprès des professionnels et des autres laboratoires de l’Ifremer. Mais surtout Patrick lui a permis de garder son poste à Paimpol toutes ses années.
Et la mer ?
Natif de Ploërmel, la mer n’était pas aussi indispensable dans sa jeunesse qu’aujourd’hui. Mais après 32 ans passés à arpenter les côtes autour Paimpol, il a quelques fois essayé de s’en passer et il n’y arrive pas. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ».
* Michel Rougerie qui travaillait dans l’équipe de la Station de Dinard est décédé en septembre 2010