Annie Gramoullé, le chaînon solidaire de l'administration

Au centre de Brest de l’Ifremer, Annie Gramoullé est surtout connue pour son activité syndicale. Pourtant, elle ne s’y est consacrée que durant les toutes dernières années de sa carrière, ne voulant pas que cela la pénalise dans son travail. Un travail qu’elle a su faire évoluer : entrée comme sténodactylo, elle a quitté l’institut en tant que cadre administratif.

Annie Gramoullé est une femme solidaire. Ouverte, attentive aux autres, elle estime indispensable de se soucier de l’intérêt collectif et pas seulement de son intérêt personnel. C’est ce qu’elle a essayé de faire dans son engagement syndical à la CGT, en tant que déléguée syndicale centrale de l’Ifremer et déléguée syndicale du centre brestois. C’est ce qu’elle compte faire de sa retraite professionnelle, avec un joli projet de bibliothèque à domicile pour les personnes âgées de sa commune. Il n’est pas surprenant d’apprendre qu’à l’adolescence, elle se voyait infirmière…

Le goût du travail

Elle n’a pas eu la possibilité de faire des études d’infirmière. Son père était ouvrier, sa mère s’occupait de la famille et les enfants devaient vite entreprendre de gagner leur vie. Sortie du collège d’enseignement commercial à dix-sept ans avec un CAP d’employée de bureau, Annie Gramoullé se met en quête d’un emploi de sténodactylo. Une petite annonce la conduit au siège du Commissariat à l’énergie atomique, à Paris, en 1965. Jusqu’à ses 18 ans, elle fait du secrétariat volant entre les différents services. Une expérience très formatrice qui lui a appris à travailler, dit-elle. Elle est ensuite affectée dans un service administratif où le travail de frappe de lettres ne suffit pas à occuper l’ensemble des employées. Certaines apportaient leur ouvrage de tricot, Annie Gramoullé occupait son temps avec des livres… En réalité, elle rongeait son frein, et s’est rapidement décidée à changer d’emploi, « par peur de perdre l’habitude de travailler ». A nouveau, en 1968, une petite annonce la mène au Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo), un an après sa création. « Nous étions très peu nombreux, une petite dizaine de personnes réunies dans un service administratif et financier du siège. J’y suis restée deux ans, jusqu’à la création du Centre océanologique de Bretagne, à Brest. »

Quitter la grande ville

Annie Gramoullé a demandé sa mutation dès le démarrage de la construction. Parisienne de parents normands, elle ne s’est jamais sentie chez elle à Paris. Durant son enfance, elle passait toutes ses vacances chez sa grand-mère, en bord de mer, et évoque les « crises de larmes » qui clôturaient les congés, à l’heure de regagner la capitale. Le Finistère était une aubaine. Au fil des ans, un attachement fort s’est tissé, d’abord avec le littoral puis, de plus en plus, avec l’intérieur des terres. Pour l’heure, en janvier 1970, Annie Gramoullé découvre un centre où tout reste à faire. Comme l’ensemble du personnel de ce qui était alors un Département scientifique unique, elle travaille dans une fillod en attendant la construction de bâtiments en dur. Elle est chargée du secrétariat de l’équipe de biologie dirigée par Lucien Laubier, dont la personnalité l’a beaucoup marquée. Elle loue la patience de son ancien chef, qui l’a aidée à se familiariser avec un milieu scientifique qui lui était totalement inconnu, lui a expliqué les termes nouveaux qu’elle rencontrait et la signification de la nomenclature en latin. Elle parle de Lucien Laubier comme de « quelqu’un de très respectueux, qui n’hésitait pas à reprendre les visiteurs qui auraient mal parlé à sa secrétaire. » Son quotidien consiste essentiellement à taper les publications et les rapports des chercheurs sur une machine à écrire, à traiter le courrier, à répondre au téléphone. Périodiquement, elle est aussi amenée à embarquer pour le compte des physiciens, qui avaient besoin de petites mains pour noter les horaires de descente et de remontée de la bathysonde et la mise à l’eau ou la récupération des courantomètres. Une expérience humainement enrichissante, parce qu’elle permet de connaître les gens sous un autre jour, mais qu’Annie Gramoullé ne tenait pas à renouveler trop souvent : « Après quelque temps à bord, je finissais par me sentir un peu prisonnière, dans l’impossibilité de m’évader. »

De la biologie à la physique

En 1976, Lucien Laubier prend la direction du centre et le Département scientifique passe sous la responsabilité de Guy Pautot. Cette année-là, Annie Gramoullé est nommée secrétaire de direction. Elle continue d’assurer le secrétariat de l’équipe de biologie, avant que le Département, sous l’effet de la croissance des effectifs et des thématiques, ne se scinde en quatre grands entités : le milieu solide regroupant géologie, géophysique et géochimie, le milieu fluide pour l’océanographie physique, le milieu vivant avec la biologie, et enfin l’instrumentation. A cette occasion, Annie Gramoullé part travailler avec les physiciens, sous la direction de François Madelain. Ce sont de nouveaux sujets de recherche à connaître, de nouveaux termes à comprendre. « C’était tout aussi intéressant que la biologie, mais plus abstrait. » Quant à François Madelain, il est la seconde personne qui a marqué sa carrière. Il a véritablement relancé sa progression professionnelle. « A l’époque, explique-t-elle, une secrétaire de direction ne pouvait pas passer cadre. Et François Madelin, qui croyait en mes capacités, m’a incitée à changer de métier pour avoir la possibilité d’évoluer encore. » Ses encouragements ont amené Annie Gramoullé à apprendre la gestion administrative et financière. Elle a fait ses preuves pendant près de deux ans, avant d’être proposée pour un passage cadre. « J’ai ainsi eu la chance de mener une carrière atypique, chose impossible aujourd’hui, où l’on demande beaucoup plus de diplômes au départ », constate-t-elle.

Attachée administrative

Dans l’administration, Annie Gramoullé doit s’adapter à l’évolution des logiciels de gestion. Elle le fait sans mal, et même avec curiosité, tout comme elle avait vécu avec intérêt l’arrivée de la machine à sphère, puis l’informatisation du travail de secrétariat. « Nous utilisions au début le logiciel Epigé, puis nous sommes passés à Sioux, qui s’est avéré très convivial. Imago est arrivé peu avant mon départ et je n’ai pas eu l’occasion de m’y mettre. » Au sein du Laboratoire de physique des océans, Annie Gramoullé a eu la charge d’assurer l’administration de l’unité mixte de recherche créée en 1990 entre l’Ifremer, l’Université de Bretagne occidentale et le Centre national pour la recherche scientifique. Quatre ans plus tard, elle rejoint le Cersat, pour finalement boucler la boucle en revenant à la biologie en 1998, dans l’équipe de Daniel Desbruyères. Elle a alors pu mesurer les changements dans la manière de travailler depuis les débuts du centre. « Cela tient sans doute au nombre et au travail sur ordinateur, mais d’une manière générale l’esprit d’équipe a disparu et les comportements sont beaucoup plus individualistes », regrette-t-elle.

Conscience sociale

Annie Gramoullé, elle, a gardé le sens du collectif. « Nous n’avons jamais été aussi isolés, même si nous pouvons correspondre avec l’autre bout de la planète via l’ordinateur. La solidarité n’est plus une valeur forte, et pourtant elle est plus nécessaire que jamais ! » En 2002, elle décide de consacrer une partie de ses dernières années de travail à l’action syndicale. Elle s’implique pleinement, apprend l’art de la négociation, et découvre aussi l’ingratitude de cet engagement : « Le personnel ne comprend pas toujours que l’on soit obligé de faire des concessions quand la direction en fait aussi. Ce jeu donnant-donnant nous a valu des reproches qui ne sont pas justifiés. » Annie Gramoullé a donc tourné la page syndicale, mais pas celle de la solidarité. C’est par respect pour « nos enfants et nos petits-enfants » qu’elle se préoccupe de la dégradation de l’environnement, en mer comme à terre. A son échelle, sans se décourager, elle tente d’agir.

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