Côté logistique, les gars de la Maison
Ils avaient déjà près de dix ans d’expérience quand ils sont entrés au Centre national pour l’exploitation des océans, à Brest, au milieu des années 1970. Jean-Yves Moal était au garage, François Cueff, dit Fanch, à l’entretien. Ils ont aimé leur travail et dépeignent des années hautes en couleur, mais ne sont pas fâchés de partir à la retraite. Avec l’externalisation d’une partie de la logistique, leur présence n’est plus indispensable au fonctionnement du centre.
Tous deux sont du Finistère. Fanch de Landivisiau, Jean-Yves de Kersaint-Landunvez, à quelques pas de la plage. Tous deux ont commencé à travailler à quinze ans, le premier dans la plomberie, le second dans la mécanique. L’un et l’autre ont eu vent d’un poste qui s’ouvrait dans leur domaine au Centre national pour l’exploitation des océans. « Ce n’était pas connu, à l’époque. Quand je disais que je partais travailler au Cnexo, les gens pensaient que j’allais dans la Marine ! », rapporte Fanch. Ce que confirme Jean-Yves Moal, arrivé un an plus tôt, en 1974. Durant plus de trente ans, ils ont participé à la bonne marche de la logistique du centre de Brest. Retour sur des métiers de la logistique indispensables mais peu connus.
Le garage
Quand Jean-Yves Moal est entré au Cnexo, la direction prévoyait de monter « un grand garage, avec des cars et tout », dit-il les yeux brillants. Les cars n’ont jamais été achetés, mais entre les voitures et les engins de levage, auxquels se sont ajoutés plus tard les petites embarcations, le travail n’a pas manqué. « Commande de voitures, gestion, entretien, chauffeur à l’occasion, c’était varié. » Les gens du centre savaient pouvoir compter sur lui : avant un déplacement, ils n’hésitaient pas à passer le voir au garage, stratégiquement installé à l’emplacement de l’actuel poste de garde jusqu’au début des années 90. Jean-Yves évoque « les voitures pourries » qu’il a vu passer, sans parler du camion conduit un jour par Fanch et qui s’est littéralement plié en deux sur la route ! Lors de la fusion avec l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes, en 1984, il a également vu arriver des véhicules dont l’institut ne voulait plus, et dont on pensait que le mécano de Brest pourrait faire quelque chose. « Je les ai repeints et remis en état, c’était sympa. » Obtenir le remplacement d’un engin vraiment trop abîmé n’était pas toujours facile. « Il fallait monter au créneau, je ne voulais pas être tenu pour responsable en cas d’accident », confie-t-il.
A son compte ?
Jean-Yves Moal avait toujours imaginé avoir son propre garage. C’est la raison pour laquelle, avant d’arriver au Cnexo, il avait travaillé dans un peu tous les domaines. « Mécanique, tôlerie, électricité, j’avais dix ans d’expérience, aussi bien dans les engins agricoles que dans les bateaux ou les voitures de sport. Un peu de compta, aussi. » Périodiquement, il songeait à quitter le centre pour s’installer. « J’aurais eu d’autres avantages et d’autres inconvénients. J’aurais fait plus d’heures. Sans compter que j’étais libre d’organiser mon travail comme je le voulais. » L’évolution du métier explique aussi qu’il n’ait jamais fait le saut. Le garagiste n’est plus un généraliste aux compétences diversifiées, mais un spécialiste d’une partie donnée. « C’est tellement complexe aujourd’hui qu’on ne peut plus faire à la fois électronique et tôlerie, par exemple. C’est l’un ou l’autre. » Jean-Yves a d’ailleurs suivi plusieurs stages d’électronique chez Renault, à Paris. Il avait en effet prévu de prendre en charge l’informatique automobile, avant que l’externalisation du parc automobile du centre ne se précise, voici une dizaine d’années.
Le temps des plastiqueurs
Par contraste avec l’activité de Jean-Yves Moal, qui n’a pas fondamentalement changé de nature au fil des années, le travail de François Cueff a connu deux grandes phases. De son embauche en 1975 jusqu’à la fin des années 80, il s’est occupé « de tout ce qui était matière plastique ». La plus grande partie de son temps était consacrée à l’aquaculture. « C’était un peu en pointe à l’époque, nous étions trois à y travailler. » Fanch était ainsi connu comme un des trois « plastiqueurs » du service Infrastructures et Moyens généraux. « J’ai fait des formations sur ce qui est soudure et pliage de matières plastiques. Quant à ce qui est résine, j’ai appris sur place. » Il a aimé ce travail au sein d’une vraie équipe technique, et qui lui a fait découvrir des choses nouvelles. Aussi a-t-il regretté que l’aquaculture cesse d’être une priorité, entraînant pour lui une affectation à l’entretien général.
Homme à tout faire
« En fin de compte, je refais un peu le même travail que j’avais quitté pour entrer au Cnexo », résume Fanch. Au cours des dix années où il était employé d’une entreprise de plomberie-chauffage de Landivisiau, il avait déjà été amené à s’occuper « un peu de tout ». Ce qui l’a fâché, c’est de s’être retrouvé à l’écart du service, dans un bâtiment à l’autre bout du centre. « Nous étions quatre au début, puis deux, et puis maintenant je suis seul. On se sent un peu délaissé, surtout depuis le départ de Jean-Yves, qui s’était retrouvé à côté après le déménagement du garage. » Il explique aussi que se retrouver tout seul sur un chantier prévu pour quatre n’est pas toujours drôle… C’est ainsi qu’il a passé plusieurs mois à changer tous les canons de serrure non seulement du centre de Brest, mais aussi de Lorient, Concarneau ou La Trinité. Fanch a aussi été un peu agacé d’être systématiquement mis à contribution pour déménager les bureaux des uns et des autres. « A une certaine période, je ne faisais plus que ça ! » Et de se demander pourquoi, quand quelqu’un de l’Ifremer change de local, il doit aussi emporter tous ses meubles…
Les sorties
Heureusement, Fanch est amené à « voyager beaucoup sur le centre, ça change les idées ». Il connaît d’autant plus de monde que pendant une quinzaine d’années, il s’est occupé de l’animation de l’équipe de football du centre et de l’organisation du tournoi annuel, un événement fort en convivialité. A plusieurs reprises également, il a pris part à des travaux dans d’autres stations, où il est bien connu. Lors de la construction du site expérimental d’Argenton, il est ainsi allé « fignoler ce que les entrepreneurs n’avaient pas fini, notamment les salles larvaires ». Pour celle de La Tremblade, il est parti quinze jours refaire une salle d’aquaculture. « C’était bien, ça fait une sortie… » Jean-Yves Moal aussi se rendait régulièrement dans les autres centres et stations du littoral Atlantique. « Un moteur à changer, j’allais vérifier que c’était justifié. Cela permettait de rencontrer les gens que j’avais au téléphone. » Tous deux citent encore le grand moment du voyage à Paris en car, en décembre 1999, à l’occasion d’une manifestation des établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic) dans le cadre de la mise en place des 35 heures. « Nous avons fait beaucoup de route, c’est sûr, mais quelle ambiance ! Et puis, ça nous a donné l’occasion d’aller au siège, de voir que la recherche, ça fait du monde. »
Changements techniques
Dans les années 90, tous deux ont suivi des stages d’initiation à la micro-informatique. Fanch avoue en riant ne pas en avoir retenu grand chose. « Le lendemain, j’étais sur les toits où n’importe où, alors je ne mettais pas en pratique ! Je consulte ma messagerie et je vais à l’occasion sur Internet, mais de là à amener des messages sans risquer de se tromper… Gare ! » Jean-Yves affiche la même prudence, même s’il est allé un peu plus loin dans l’apprentissage : à l’aide d’Excel, il a réalisé les premiers tableaux concernant le parc automobile, mentionnant la catégorie, le kilométrage et le nombre d’années du véhicule. L’un et l’autre tombent d’accord pour dire que les relations de travail sont devenues plus opaques et plus distantes avec l’informatique, qu’ils ne savent pas vraiment ce que font les gens devant leur écran.
Pas de relève
Ce qui a vraiment terni leurs dernières années de travail, c’est l’externalisation annoncée d’une bonne partie des services à l’entreprise. Jean-Yves Moal a finalement dû organiser lui-même la sous-traitance du parc automobile. « Tout est fait à l’extérieur, désormais, même l’aspirateur. C’est terminé, le garage. J’aurais tout de même préféré voir arriver un jeune. » Transmettre son savoir-faire, tous deux s’accordent à le dire, c’est vraiment une manière positive de terminer son parcours professionnel.