Daniel Guezennec, le marathonien de la compta
La comptabilité, c’est une affaire de famille chez les Guezennec. Daniel Guezennec éprouvait une grande admiration pour son père, inspecteur du Trésor public, et avait envie de faire carrière dans le même domaine que lui. A cela s’ajoutait le désir d’entrer très vite dans le monde du travail. Ainsi, en 1967, tout juste âgé de 18 ans, il a passé le concours d’agent de bureau du Trésor public, puis en 1969 celui d’agent de recouvrement du Trésor. Motivé, discipliné, il a constamment évolué dans son métier, au fil des innovations technologiques et des changements dans les modes d’organisation.
L’attachement à la pointe bretonne
Le Finistère et la proximité de la mer sont fondamentaux dans la vie de Daniel Guezennec. Après son enfance et sa scolarité à Morlaix, il fait un passage d’un an et demi à la Trésorerie générale des Hauts-de-Seine, pour être titularisé agent de recouvrement. Mais dès sa titularisation acquise, il revient à la pointe bretonne, à Brest, où demeurait sa fiancée. Au printemps 1972, il apprend que le jeune Centre océanologique de Bretagne (COB), dépendant du Centre national pour l’exploitation des océans (CNEXO), cherche à embaucher un agent de recouvrement du Trésor, une obligation s’imposant à tout établissement public.
L’arrivée au CNEXO
« Non seulement c’était pour moi un retour familial, mais en plus le travail était très intéressant, raconte-t-il. C’était la période des créateurs, des pionniers, le personnel dirigeant avait 40 ans au maximum, les chercheurs entre 20 et 25 ans. » Tout le monde se connaissait, des affinités fortes se nouaient. Pour Daniel Guezennec, les liens se sont en particulier tissés autour du sport. « Après le football et le tennis, je me suis mis à la course à pied. Les mardis et jeudis soir, nous étions quelques-uns à courir autour du centre. C’est de là que m’est venue ma passion pour le marathon. » Il évoque les 100 kilomètres de Millau en 1984, le marathon de New-York en 1987 et cinq relais de 24 heures entre Rennes et Brest. « J’ai arrêté ce type d’épreuves, mais je cours tous les matins, été comme hiver. L’endurance m’a beaucoup apporté », reconnaît-il.
Les années d’apprentissage
Les années CNEXO, devenu l’Ifremer en 1984, ont été la période d’apprentissage de Daniel Guezennec. Entré comme comptable, puis passé chef comptable, il veillait à faire le mieux son travail, c’est-à-dire l’exécution des dépenses et des recettes. « Enfin, des recettes, nous n’en avions guère au début ! Cela paraît aberrant vu d’aujourd’hui, où l’on en parle beaucoup… » A cette époque, les outils du comptable se limitaient au crayon et à la petite calculatrice. Les travaux étaient très répétitifs : pour une même opération, il fallait remplir un nombre d’imprimés inimaginable, correspondant à des registres différents. La balance des comptes mensuelle prenait une semaine à être effectuée et ajustée, car tout était fait à la main. Désormais, c’est une opération qui se fait informatiquement en quelques secondes… Le métier a commencé à changer au début des années 80. « Je me rappelle que c’est Alain Laponche qui avait introduit la première console informatique. Nous la regardions avec de grands yeux ! Jusqu’en 1984, il n’y en avait qu’une par service. Pour nous, le langage des informaticiens s’apparentait à de l’hébreu. »
Le passage cadre
Un an près la création de l’Ifremer, en 1985 donc, Daniel Guezennec passe au statut de cadre. Il dit avoir découvert un autre univers. Thierry Klinger, alors secrétaire général de l’Ifremer, avait fait le choix d’imposer aux services financiers et comptables un outil commun dénommé EPIGEE. L’objectif était d’éviter que ce qui avait été saisi d’un côté ne soit saisi également d’un autre côté, et que les données puissent être récupérées. C’était une grande nouveauté, car jusqu’en 1985 les services ordonnateurs et l’Agence comptable travaillaient très peu ensemble. Les relations étaient souvent conflictuelles, par exemple lorsqu’un comptable rejetait une demande de paiement. « Aux finances comme à l’Agence comptable, nous étions tous timorés face à l’informatique, se souvient Daniel Guezennec. Nous n’étions pas donc trop de deux ou trois face à un informaticien ou face à la console pour résoudre un problème. C’est ainsi que nous avons appris à travailler ensemble. »
La gestion du patrimoine
La décennie 1985-1995 s’est ainsi avérée très riche pour Daniel, qui s’est beaucoup investi dans l’amélioration du logiciel EPIGEE. L’année 1989 fut particulièrement stimulante. Jusqu’alors, le patrimoine du COB était géré à distance par un service du siège, à Paris. A Brest, l’inventaire et l’achat du matériel et des biens corporels se faisaient quand il restait un peu de temps pour cela. Aussi, début 1989, Daniel Guezennec et Mickael Brelivet, l’« ordonnateur » du service financier avec qui il s’entendait très bien, proposèrent d’opérer la reprise de tous les biens du centre depuis sa création et de les rentrer individuellement dans le patrimoine. La tâche était gigantesque, et devait être achevée pour la fin de l’année, en commun bien sûr avec le service informatique. « Et nous avons produit, pour le bilan financier, un patrimoine juste, avec des amortissements bien calculés ! Nous étions heureux comme des gamins d’avoir réussi cette opération », s’amuse Daniel Guezennec.
La piste Sioux
Le logiciel EPIGEE avait fait ses preuves, mais un contrôle de la Cour des Comptes réalisé en 1996 a mis en valeur ses limites. La première était que le siège ne pouvait pas avoir une vision globale de ce qui se passait dans les différents centres de l’Ifremer, parce qu’EPIGEE était mis en œuvre centre par centre. Il fallait 48 heures pour consolider les comptes. La seconde carence était que le logiciel ne garantissait pas un respect strict de la réglementation des marchés. Les centres gérant eux-mêmes leurs opérations, il arrivait que chacun passe un bon de commande auprès d’un même fournisseur, sans savoir ce que faisaient les autres. Mais le total des engagements annuels auprès de ce fournisseur pouvait exiger en réalité le lancement d’un appel d’offre. Ayant repéré cette lacune, la Cour des Comptes a exigé que les différents sites travaillent avec un outil commun. Chaque fournisseur devrait être identifié par un numéro Siret unique, et son chiffre d’affaires devrait être suivi tous centres confondus afin que la réglementation des marchés soit respectée. « Le logiciel Sioux a été bâti avec cette idée-là, explique Daniel Guezennec. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il a été conçu entièrement en interne ! Sa qualité a été reconnue par tous les corps de contrôle, aux niveaux national et européen. Or pour un inspecteur, la qualité de l’outil utilisé, la traçabilité qu’il garantit, c’est vraiment la base. Mon investissement dans Sioux est sans doute pour beaucoup dans mon passage cadre 2, en 1996, car le logiciel préparait vraiment le futur de la maison. »
L’amélioration de la chaîne de paiement
Après les trois années consacrées à la mise au point de Sioux, Daniel Guezennec et l’inséparable Mickael Brelivet se sont lancés dans la réorganisation de la structure Finances-Agence comptable, qui n’avait pas bougé depuis trente ans. Deux facteurs ont précipité le changement. Le premier est l’entrée en vigueur, en 1998, de la loi sur la réduction du temps de travail. « C’était formidable pour les agents, mais les services se vidaient pendant les congés scolaires, observe Daniel. Les délais de paiement de nos fournisseurs s’allongeaient beaucoup. » Le second facteur est que dans le même temps, les services publics se voyaient imposer des exigences d’efficacité et de rapidité de plus en plus grandes. Ainsi, au-delà de trente jours de facturation, des délais de retard étaient appliqués. « Nos services recevaient des lettres parfois incendiaires de sociétés de recouvrement, d’huissiers. » Pour alléger le fonctionnement administratif, les deux collègues ont demandé à éviter les doublons entre les deux services. Des chaînes de paiement journalières ont été mises en place. Tout en conservant la même qualité de contrôle, cela a permis de raccourcir les délais d’une quinzaine de jours, pour les fournisseurs comme pour les missions des agents de l’Ifremer.
Brest, Nantes et Mercator Ocean
En 2001, Jean-François Minster, alors président-directeur-général de l’Institut, a souhaité renforcer encore le rapprochement des services comptables des différents centres. Ainsi, pendant près d’un an et demi, Daniel Guezennec s’est-il rendu à Nantes une fois par semaine. Il a pu observer une façon différente de travailler, héritée de l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes, une autre culture que celle héritée du CNEXO. « Pour que tout finisse par s’harmoniser, il fallait que les uns et les autres fassent des efforts. Cela s’est bien passé, mais les allers-retours étaient assez fatigants. » Or là-dessus s’est greffée la proposition de s’occuper de la gestion administrative du Groupement d’intérêt économique Mercator Ocean, dont le siège est à Toulouse. Daniel se voyait mal cumuler cela avec ces obligations brestoises et nantaises. Il a pris le temps de la réflexion et renoncé à Nantes. De 2002 à 2009, il s’est ainsi occupé de Mercator en plus de son travail à Brest
Etudiant à vie
Daniel Guezennec estime avoir eu une chance inouïe de faire de la comptabilité dans un organisme resté « jeune et dynamique » tel que l’Ifremer. « Ici, on reste étudiant à vie. Dans une mairie ou une perception, il faut aller chercher en dehors de son travail de quoi épanouir sa personnalité. Au fil du temps, avec l’expérience, j’ai pu mener des actions qui satisfaisaient nos dirigeants. Cela comptait pour moi. » A présent, il compte se consacrer davantage à la l’histoire. Passionné par la période napoléonienne, il ambitionne de faire renaître de ses cendres le général Jean-Victor Moreau. Un Morlaisien, bien sûr.