François Le Foll, du syndicat à la région
Il a exercé successivement trois métiers et mené deux carrières en parallèle. La dispersion n’est qu’apparente, car François Le Foll se présente comme un personnage entier. Dans son travail, dans son activité syndicale et dans sa vie personnelle, il a défendu les mêmes « options », ainsi qu’il désigne ses convictions. Parcours d’un ancien grand timide devenu homme de réseau, un négociateur qui se bat pour les budgets de la recherche.
Embauché à l’origine comme technicien dans le cadre du projet Nodules, François Le Foll est surtout connu à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) comme responsable des affaires régionales bretonnes et militant syndical. Ces deux activités ont pour ainsi dire éclipsé son passage aux ressources humaines et son long séjour dans l’équipe de technologie. Lui ne renie rien de son parcours, qu’il trouve cohérent et satisfaisant.
En attendant la pêche
François Le Foll est d’une famille de pêcheurs de Loperhet, petite commune située à une quinzaine de kilomètres de Brest. En 1968, année de ses vingt ans, l’activité de la région tournait encore essentiellement autour de l’agriculture et de la pêche. Lui-même imaginait depuis son enfance reprendre le bateau de son père. Il avait préparé à Brest un brevet de technicien supérieur en mécanique, puis était parti travailler à Paris en attendant de prendre la place qui l’attendait sur un bateau. A son retour de la capitale, en septembre 1972, il lui restait deux mois à meubler avant l’ouverture de la pêche côtière, fixée en novembre. Ainsi décida-t-il de se rendre dans une agence d’intérim. En cette époque de plein-emploi, on n’eut aucun mal à lui proposer une mission, dans l’équipe de technologie du Centre national pour l’exploration des océans. « Le Cnexo, je n’en avais jamais entendu parler, c’était tout petit, ce n’était pas connu », s’amuse François Le Foll. « Je suis rentré pour une période de trois semaines, et puis trois semaines se sont transformées en trente ans… »
Les années nodules
Le centre comptait alors une centaine de personnes, et l’équipe technologique du grand projet Nodules, à peine cinq. Six, avec François Le Foll, embauché comme dessinateur projeteur. « Je faisais des plans de préleveurs à nodules, de dragues à nodules, de norias à nodules. Avec beaucoup de missions dans le Pacifique, pour tester le matériel. Quand on est jeune, c’est sympa », dit-il. Mais à la longue, dessiner l’instrumentation au service des nodules s’est révélé un peu usant. François Le Foll a profité de l’arrivée des calculs informatiques, vers le milieu des années 80, pour changer de métier. « J’ai senti que j’allais très vite être dépassé par les jeunes ingénieurs et techniciens qui arrivaient, qui étaient formés aux nouvelles technologies. J’ai saisi au vol une occasion qui se présentait aux ressources humaines », résume-t-il.
Chargé de formation
Dans la foulée de la fusion entre l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM) et le Cnexo, qui a donné naissance à l’Ifremer en 1984, un poste de responsable de formation s’est ouvert. L’objectif était de couvrir les besoins des différents centres et stations de l’institut, et de réfléchir notamment à la manière de remédier aux doublons entre postes et programmes engendrés dans un premier temps par la fusion. En 1986, François Le Foll prend ses nouvelles fonctions, sous l’autorité de la direction des Ressources humaines de Paris. Tout en restant basé à Brest, il passe la moitié de son temps professionnel dans la capitale, et est régulièrement amené à se rendre dans chacun des centres. Durant six ans, il évalue les besoins, élabore des plans de formation. « Avec les limites du système : je suis de ceux qui défendent la formation interne, mais c’est une erreur de croire qu’elle résout tous les problèmes sociaux et que les passerelles sont innombrables. Tous les métiers ne sont pas ouverts à tout le monde », insiste-t-il. Sur ces entrefaites survint, en 1992, un changement de direction et de directeur des Ressources humaines, qui « invita » François Le Foll à « trouver un autre point de chute », raconte-t-il…
Affaires régionales
C’est ainsi que François Le Foll se retrouva quelques années à travailler aux côtés du délégué aux Actions régionales des différents centres, afin là encore d’éviter les doublons et les chevauchements. Il devait également suivre les relations avec les acteurs socioprofessionnels, plus particulièrement les pêcheurs et les ostréiculteurs. En 1995, à la faveur d’un départ à la retraite, François Le Foll récupéra en outre le poste de chargé des Affaires régionales bretonnes. « J’ai cumulé les deux pendant quatre à cinq ans. J’ai heureusement pu m’appuyer sur une secrétaire qui travaillait exclusivement avec moi. » Nouveau changement de direction générale, arrivée d’un nouveau délégué aux Affaires régionales : « Je me suis retrouvé un peu en porte à faux, si bien qu’en accord avec le directeur du centre de Brest, je me suis complètement focalisé sur les affaires régionales Bretagne. J’ai fini ma carrière comme ça. »
Des intérêts bien compris
Autant François Le Foll s’étend peu sur ses deux premiers métiers, autant il est loquace dans l’évocation du dernier poste qu’il a occupé. Il s’est manifestement passionné pour ce travail de négociateur, où il a remporté quelques « belles victoires », dit-il. L’objectif est de négocier avec les différentes collectivités territoriales (région, départements, communautés de communes, communes) des programmes d’investissement ou de développement. Cela se fait soit par l’intermédiaire des contrats de plan entre l’Etat et la région, conclus pour des périodes de six à sept ans, soit au travers de programmes extérieurs. « J’étais en cheville avec le directeur du centre de Brest, et avec le PDG de l’Ifremer pour les projets les plus gros. Les montants sont très importants, avec comme enjeu d’asseoir l’institut dans un domaine. Une nouvelle station à Argenton, un nouveau calculateur à Brest, c’est une garantie d’activité pour des décennies. » Pour convaincre les élus de financer une partie du projet, il faut les amener à penser qu’ils ont besoin d’un Ifremer dynamique, qui consolide le tissu économique local et régional, alimente le réseau de recherche et crée des emplois de haut niveau. Cela passe souvent par des collaborations avec les autres organismes scientifiques de la région : un investissement intéressant plusieurs partenaires crée des synergies et a davantage de chances d’aboutir.
Remonter les échelons
Le préalable est de bien sélectionner les projets à défendre. Les scientifiques émettent des vœux, le délégué aux Affaires régionales et la direction évaluent les chances que les différentes demandes ont d’aboutir. « Si nous n’avions pas les arguments pour amener les collectivités à nous aider, nous passions le projet à la trappe. Parfois, pour des raisons stratégiques internes, il fallait tout de même le présenter ; dans ces cas-là, il est très facile de le torpiller, de l’abandonner en réunion avec la région ou la communauté urbaine au profit d’un autre projet plus prometteur », explique François Le Foll.
Une fois franchie cette étape de sélection, place à la négociation proprement dite. La stratégie défendue par François Le Foll consistait à remonter les échelons. « Les administratifs, les collectivités, ont eux aussi des façons de torpiller les projets. Il faut donc les avoir dans son camp pour défendre le bébé jusqu’au bout. Pour cela, il est indispensable de passer par le bas, d’aller voir l’administratif chargé des dossiers en disant j’ai un projet qui coûte cher, mais qui est très intéressant, qu’en penses-tu ? S’il se montre intéressé, on peut alors commencer à remonter dans la hiérarchie. » Cette méthode-là a valu à François Le Foll de réussir «&160;quelques gros coups », dit-il.
Une carrière parallèle
Ces victoires que sont le financement de la station de Lorient ou celle du calculateur brestois, par exemple, il les doit en grande partie au fait d’être depuis longtemps introduit dans les milieux politique et syndical. A son arrivée au Cnexo, en 1972, il est contacté par un militant de la CFDT qui voulait monter une équipe syndicale dans le centre. « La politisation et la syndicalisation étaient fortes parmi les jeunes, c’était dans l’air du temps », se souvient François Le Foll, qui s’est lancé sans hésiter. Cette activité syndicale, doublée ensuite d’un engagement politique, lui a permis d’acquérir des connaissances en stratégie politique et en négociation, d’être introduit dans le milieu politique breton. « C’est un microcosme, les militants des différentes associations se connaissent tous. Et puis il y a des amitiés, au-delà des bords politiques. Si ce je suis ce que je suis aujourd’hui, reconnaît François Le Foll, je le dois beaucoup à ce militantisme. »
Un réseau
D’abord militant de base au sein du Cnexo, il est élu délégué du personnel puis délégué syndical. A la faveur des lois Auroux de 1982, qui ont ouvert les conseils d’administration aux salariés, il entre au conseil d’administration de l’Ifremer, où il reste dix ans. Et notamment lors de son passage à la direction des Ressources humaines, « ce qui est assez peu banal, reconnaît-t-il, et qui n’a pas été sans me poser des problèmes. En même temps, je pense que si je suis arrivé aux ressources humaines, c’est parce que j’étais administrateur. » Sans doute les dirigeants ont-ils voulu mettre de leur côté un des syndicalistes qui manifestait un certain esprit d’ouverture ? Et qui, en outre, avait travaillé sur la fusion des deux organismes en tant que délégué syndical à une époque un peu tendue. « De mon côté, en tant qu’administrateur, j’avais des interlocuteurs au plus haut niveau, au Cnexo et dans les ministères. » C’est ce réseau de connaissances nationales et régionales qui a valu à François Le Foll d’être embauché aux affaires régionales.
La force d’une conviction
A aucun moment de sa carrière, il ne s’est senti tiraillé entre son travail et son engagement syndical. Même lors de son passage aux ressources humaines. Sans doute parce que le domaine de la formation, dont il avait la charge, est plus transversal et moins potentiellement conflictuel que la gestion de l’emploi lui-même. « J’avais des options, et j’ai cherché à les faire gagner dans les différents domaines de ma vie. Je m’étais fixé une ligne jaune et me suis tenu à ne pas la franchir. Etre militant syndical et devoir appliquer un plan de restructuration, ce n’est pas cohérent. C’est même malhonnête. On est obligé d’être entier », insiste François Le Foll. Il reconnaît d’ailleurs aux différents directeurs de l’Ifremer avec lesquels il a travaillé le mérite de ne lui avoir jamais demandé de défendre des choix incompatibles avec son mandat syndical. « De la même manière, dans le dernier contrat de plan Etat-région, l’Ifremer négociait la construction d’un port scientifique. Un grand bâtiment, d’un coût conséquent. Au bout de cinq ans de discussions, l’affaire avait presque abouti, lorsque la nouvelle direction générale a décidé d’abandonner. Le directeur du centre de Brest a parfaitement compris que je n’irais pas sonner le glas d’un projet que j’avais défendu pendant cinq ans », explique-t-il.
Passer le flambeau
Fidèle à un certain idéal de jeunesse, François Le Foll n’en est pas moins critique à l’égard de sa génération. Selon lui, elle n’a pas su organiser le relais avec la génération suivante. « Nous avons pris le pouvoir à une certaine époque et nous n’avons pas voulu le transmettre, inconsciemment peut-être. Le résultat, c’est que les postes à responsabilité sont désormais accaparés par des gens proches de la retraite. C’est vrai dans tous les pans de la société, des partis politiques et des syndicats aux entreprises de pêche en passant par les instituts de recherche. » Mais il faudra bien que quelqu’un reprenne le flambeau, qu’à nouveau des pouvoirs et des contre-pouvoirs se structurent autour des nouvelles générations, « avec une autre culture, une autre philosophie », ajoute-t-il.
François Le Foll est surpris par le parcours qu’il a suivi. « J’étais d’une timidité maladive, rit-il, et voilà que prendre la parole en réunion est devenu mon quotidien… » Quand il raconte que sa carrière de patron-pêcheur s’est jouée à un cheveu, « les gens me disent que j’ai de la chance. C’est vrai, à l’Ifremer, je suis au chaud, je suis tranquille. Mais c’est relatif. Chacun peut être heureux et satisfait de son parcours, même s’il est resté dans une tâche d’exécution. Il n’y a pas d’échelle de valeur là-dedans. Les valeurs, elles font partie du bonhomme. »