Compléments biographiques du portrait de Marthe Melguen
Marthe Melguen, inclassable géologue marin, passée, en 40 ans, de la recherche, au service à la recherche, à sa direction et au développement économique par la recherche.
Marthe Melguen ne pense pas pouvoir être qualifiée « d’océanographe », car elle estime que ce terme est plutôt réservé aux physiciens et biologistes travaillant sur les masses d’eau océaniques et leur biomasse. Elle se considère plutôt comme un géologue marin travaillant sur les fonds océaniques, leur origine, leur évolution à l’échelle géologique, leurs ressources…
De plus, le terme « océanographe » ne fait référence qu’à sa formation de docteur en géologie marine ainsi qu’aux huit années de recherche qui ont suivi, au sein de l’équipe des géosciences marines du Centre océanologique de Bretagne (COB). Par la suite, son profil de géologue ne lui a servi qu’indirectement dans ses postes de Directeur, successivement dédiés à des objectifs très différents (notamment à la Direction du Bureau national des données océanographiques - BNDO - , du Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux - Cedre - , du Centre Ifremer de Brest). Marthe Melguen a toutefois été « au service » de la recherche océanographique et de la protection des océans avant d’être à celui du développement économique par la Recherche.
Marthe Melguen évoque une forte d’attirance pour la mer, car cela a constitué la dominante permanente du cadre de son enfance : elle est née et a vécu au port du Fret, et ce jusqu’à son départ au lycée de l’Harteloire. Elle mentionne également son attirance pour « la nature » dont bien sûr « les paysages maritimes». Cette proximité permanente avec le milieu marin, devenu si familier, a certainement développé en elle le goût de l’observation « naturaliste », qui n’a cessé de grandir ensuite tout au long de ses études universitaires, y compris lors de la préparation d’une licence de sciences naturelles.
C’est justement au cours de cette licence qu’elle a décidé de s’orienter en priorité vers la géologie marine, matière dans laquelle elle a eu non seulement de très bons résultats, mais aussi des professeurs enthousiasmants. Elle mentionne en particulier le professeur Milon, qui aimait faire de nombreux parallèles entre la reconstitution de l’histoire géologique (au travers d’indices et de traces) et celle des enquêtes policières. Le suspense dans ses cours ne manquait pas, et il a fait de ses étudiants des observateurs avisés et exigeants !
Cependant, ce n’est que dans le cadre du Diplôme d’Etudes Appliquées (DEA) qu’elle s’est orientée vers la géologie marine. C’est certainement dû au fait de l’arrivée à l’Université de Rennes d’un professeur renommé en la matière : le professeur Boillot. Dans le cadre du jumelage entre les Universités de Kiel et de Rennes, c’est lui qui rencontrera ensuite le professeur Seibold (son homologue), qui lui proposera d’accueillir pour une préparation de thèse l’une de ses élèves. A son retour de Kiel, il a transmis à Marthe Melguen cette proposition, qu’elle accepta très rapidement, en dépit de sa faible connaissance de l’Allemand ou de l’aventure que représentait ce départ sur les bords de la Baltique. C’est ainsi que s’est progressivement dessinée son orientation professionnelle, malgré l’existence des « autres possibles».
De la formation à la recherche et au développement économique régional par la recherche, en passant par la lutte contre les pollutions marines accidentelles : un parcours original et composé d’étapes de 3 à 9 ans.
De 1968 à 1971, Marthe Melguen a préparé une thèse de doctorat sur « l’analyse de facies, par ordinateur, de sédiments pleistocène-holocène, au nord-ouest du Golfe Persique » à l’Institut de géologie de Kiel. Elle était placée sous l’autorité de son directeur, le professeur Seibold, et après avoir soutenu cette thèse à l’Université de Rennes en Octobre 1971, elle a été embauchée par le CNEXO.
Entrée dès 1971 dans l’équipe des géosciences (dirigée par Xavier le Pichon et implantée au Centre océanologique de Bretagne, le COB), elle y est restée 8 ans, travaillant principalement sur les deux sujets de recherche suivants : « le paléoenvironnement de l’Atlantique Sud » et « l’influence des courants profonds dans la formation des nodules polymétalliques ».
En 1979, Jean Vicariot (le directeur du COB) lui a proposé de prendre la direction du BNDO. Elle a saisi cette chance et a donc été chargée de l’archivage, du traitement et de la diffusion des données collectées par l’ensemble des navires océanographiques français. Marthe Melguen assure cette fonction durant six ans, en mettant notamment en place et en œuvre la chaîne de traitement des données du sondeur multifaisceaux Seabeam, embarqué à bord du N/O Jean Charcot . Courant 1985 et suite à des changements de politique (liés entre autres à la création de l’Ifremer), Marthe Melguen a considéré qu’il n’y avait plus de possibilités de développement pour le BNDO dont la mission paraissait remise en cause. Elle a alors souhaité s’orienter vers un autre poste ou plutôt vers d’autres perspectives.
C’est dans ce contexte qu’elle a décidé de se porter candidate, en tant qu’auditrice, à la 22e session nationale du Centre des Hautes Etudes de l’Armement (CHEAR). En dépit de la très faible représentation des femmes dans ces sessions (cinq sur une promotion de cinquante auditeurs, composés surtout d’ingénieurs de l’armement), sa candidature a été retenue par le Premier ministre. Elle s’est donc engagée, avec l’accord du PDG de l’Ifremer Yves Sillard (lui-même ingénieur de l’armement), à suivre la session du CHEAR à l’Ecole militaire de Paris, deux jours par semaine et de septembre 1985 à juin 1986. A ses yeux, c’était une chance inespérée.
Restait cependant à trouver un autre poste que celui du BNDO. Elle a donc saisi l’opportunité d’une offre de poste au Cedre. Le poste en question était celui de directeur. Malgré de très fortes exigences de la part du Comité de sélection, visiblement peu favorable à une candidature féminine, elle a pourtant été retenue pour ce poste. Elle a donc dirigé le Cedre durant 9 ans, de 1985 à fin 1994. Ce fut une période particulièrement intéressante car, outre la nouveauté du métier, elle a offert à Marthe Melguen un très large champ de responsabilités et de possibilités de créations, au service de l’action de l’Etat en mer. Cette action était celle des ministères de la Défense, de l’Environnement, de l’Equipement, de l’Intérieur et celle de la mission interministérielle de la mer. « Nous assistions ces autorités autant que de besoin, 24 heures sur 24, pour faire face aux accidents de pollution, indique l’intéressée, survenus non seulement en France, mais aussi à l’étranger (ex : dans le Golfe Arabe, Persique et en Alaska). Notre équipe, toujours prête à se mobiliser et à partir, avait un grand sens du service public et de la nécessité d’être réactionnelle et soudée. J’ai eu beaucoup de plaisir (en dépit des difficultés inhérentes à la mission) à assumer cette direction. Elle fut conduite de façon concomitante avec celle du centre Ifremer de Brest, de septembre 1988 à avril 1990, et ce à la demande du PDG de l’Ifremer, Yves Sillard. »
Après neuf ans passés au Cedre, à œuvrer, notamment, à son développement et à sa reconnaissance au plan européen et international, Marthe Melguen a souhaité aller à nouveau vers d’autres horizons, après avoir assuré le choix et la mise en place progressive de son successeur. Ayant eu connaissance de la vacance prochaine du poste de Délégué Régional à la Recherche et à la Technologie (DRRT) pour la Bretagne, elle a fait acte de candidature, avec l’accord de la Direction générale de l’Ifremer et en multipliant les contacts utiles avec Monsieur le Recteur de l’Académie, Monsieur le Secrétaire Général de la Préfecture de région et Monsieur le Ministre de la Recherche et de la Technologie. Ce fut néanmoins très difficile. Pendant une année, elle a pris le risque d’accepter un poste de chargée de mission pour la recherche et la technologie, auprès du préfet de région et ce sans avoir la certitude que le poste de DRRT lui serait ensuite octroyé. En effet, ce n’est qu’en décembre 1995, que le Ministre de la recherche, François d’Aubert, a annoncé la nomination de Marthe Melguen lors de son passage au Conseil Régional de Bretagne.
De janvier 1996 à février 2000, elle a donc rempli à Rennes une double fonction : celle de chargée de mission (auprès du préfet de région, au titre du ministère de l’intérieur) et celle de DRRT (hébergée à la Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) , au titre du ministère de la recherche.
A l’issue de son mandat de DRRT, non renouvelable, Marthe Melguen a souhaité revenir à Brest, pour raisons familiales. Après avoir, sans succès, manifesté son intérêt pour la direction du Technopôle de Brest Iroise, elle a fait connaître au Directeur de centre Ifremer de Brest, ainsi qu’au Président de l’Université de Bretagne Occidentale, son intérêt pour la direction du Centre Européen de Documentation sur la Mer (CEDM). Celui-ci était alors en construction et fut ensuite appelé Bibliothèque la Pérouse (BLP). Ce centre, prévu à l’origine pour fonctionner sous statut de groupement d’intérêt public (GIP), apparaissait comme offrant de très intéressantes perspectives de création, d’innovation et de partenariat au service de la recherche et de l’enseignement supérieur . De plus, comme au Cedre, Marthe Melguen espérait pouvoir y retrouver une relative autonomie de gestion et une réelle capacité de décision. Si sa candidature potentielle a été acceptée sans difficulté, il lui a fallu attendre trois ans, c’est-à-dire l’ouverture de la BLP, pour en être nommée Directeur.
De retour sur le centre de l’Ifremer de Brest durant cette phase de transition qui dura de 2000 à 2003, elle a occupé le poste de responsable du service de documentation et des bibliothèques de l’Institut. Ce fut une période marquée par la préparation de l’équipement, de l’organisation et du fonctionnement de la BLP. Cette dernière a été inaugurée en septembre 2003. Marthe Melguen l’a dirigée jusqu’en septembre 2009, tout en continuant d’être chargée de la coordination du programme « Information scientifique et technique » de l’Ifremer. Autrement dit, comme au cours des années passées au Cedre ou à la préfecture de région, elle a continué d’assumer de façon concomitante deux fonctions.
Au 1er octobre 2009, l’heure de la retraite ayant irrémédiablement sonné, Marthe Melguen a considéré ne pouvoir partir qu’en demeurant prête à répondre à l’appel de l’Etat, comme le font les officiers généraux, dont ses anciens camarades de l’Ecole Militaire passés en deuxième section! Ce faisant, elle a commencé à réfléchir à un éventuel engagement politique sur le plan régional, au moment des élections de 2010. Elle était une fois de plus à la recherche de nouveaux « possibles » !
L’importance, dans ce parcours, de la formation à et par la recherche.
Si, comme le reflète la présentation qui précède, la recherche n’a occupé que 8 ans de la carrière de Marthe Melguen, la formation qui l’y a conduite lui été très utile tout au long de son parcours professionnel. Elle lui a donné un état d’esprit et des méthodes de travail qu’elle n’a cessé d’appliquer. Elle a toujours veillé à s’assurer de sa connaissance de l’état des lieux, de son analyse et, selon les cas, de son positionnement au plan national et international, avant de prétendre pouvoir proposer une orientation nouvelle ou un projet.
Cette démarche de chercheur alliée au goût de la veille et de la prospective (et ce quelle que soit l’étape de sa carrière considérée) n’a cessé d’être la sienne, dans le respect de ses prédécesseurs. C’est une déontologie issue de sa formation initiale, à laquelle elle n’a jamais cessé d’être redevable et qu’elle a maintes fois recommandée aux étudiants qui lui demandaient conseil quant à leur orientation.
Celle des rencontres déterminantes pour le choix des orientations.
De telles rencontres ont été nombreuses, tant au niveau des études universitaires de Marthe Melguen que de sa préparation de thèse ou de son parcours professionnel. Elles lui ont fait connaître des possibles qu’elle ignorait, puis aidée à s’en rapprocher et à avoir confiance en elle pour oser affronter les challenges qu’ils représentaient. Il s’est souvent agi de rencontres avec des personnalités exceptionnelles que Marthe Melguen a beaucoup admirées et dont l’exemple a, de façon significative, contribué à sa formation de chercheur et de responsable (de projet, d’équipe, de centre de recherche et de ressources, d’expert et de conseiller). Les principales personnalités qu’elle cite à ce sujet, en en parlant avec reconnaissance, sont les suivantes :
- « - le professeur Eugen Seibold, directeur de l’Institut de Géologie de l’Université de Kiel, qui m’a accueillie comme doctorante. Il deviendra plus tard Président de la Deutsch Forshung Gemeinschaft (homologue du CNRS en France), puis président de la Fondation Européenne pour la Science (ESF). Alors que nous ne nous étions pas encore rencontrés, il m’a immédiatement fait confiance et offert de très bonnes conditions de travail. C’était un homme très généreux et engagé en faveur de la réussite de ses doctorants. Nous étions quatre doctorants dans ma promotion et l’un d’entre nous est devenu plus tard le directeur de l’Institut Polaire Allemand. Tous n’ont cessé de demeurer en contact avec le professeur Seibold et de le rencontrer périodiquement depuis leur soutenance de la thèse. A 92 ans, il continue de nous adresser ses publications et de s’informer de ce que nous faisons car il a encore le souhait de nous aider. Lors de notre dernière rencontre, il y a un mois, il m’a d’ailleurs dit : « ne pourriez-vous pas trouver un poste à Bruxelles ?... mais si, ça devrait être possible… ! ». Il réagissait en père (« Doktor Vater », selon l’appellation allemande), se préoccupant pour sa « fille » comme il l’a toujours fait depuis 1968. Lors de ma soutenance de thèse en 1971, il s’est excusé vis-à-vis de mes parents de me considérer comme l’une de ses filles ! Il va de soi que le caractère exceptionnel de cette relation a beaucoup compté dans mon orientation vers la recherche et par la suite. L’impact a été d’autant plus fort que, venant d’un milieu modeste (comme c’était aussi le cas du professeur Seibold), je n’appartenais à aucun réseau social susceptible de m’aider à m’introduire dans le milieu de la recherche. »
- « - le professeur Xavier le Pichon, que j’ai eu l’immense chance de rencontrer à l’occasion d’un congrès géologique international, organisé à Kiel, sous la responsabilité du professeur Seibold. Etant la seule française présente à l’institut, ce dernier m’a demandé de m’occuper de l’accueil du représentant du CNEXO. Ce fut chose faite et l’occasion tout à fait imprévue d’être « repérée » par le Pr Le Pichon. Il semblait avoir beaucoup apprécié nos échanges de point de vue, lors d’un dîner auquel il m’avait conviée. Ma formation, dans une équipe de renommée internationale, ainsi que ma personnalité l’intéressaient. Dès lors, il a vraisemblablement envisagé mon entrée dans son équipe, puisqu’il a proposé au CNEXO de m’attribuer une bourse de recherche durant les deux dernières années de ma préparation de thèse. A partir de ce moment (et sous réserve d’une bonne soutenance de thèse), la perspective d’une entrée au CNEXO s’offrait à moi. Cette chance inestimable s’est effectivement concrétisée un mois après la soutenance, en novembre 1971. Intégrée dans l’équipe de sédimentologie, j’ai continué d’avoir la confiance de Xavier le Pichon, qui m’a, notamment, demandé de le remplacer de façon imprévue, en tant que chef de mission, lors de la campagne « GEOBRESIL » en 1973. J’aurai plus tard le plaisir de co-publier à ses côtés. Il fut à mes yeux un directeur de département extrêmement exigeant, volontariste, brillant, doublé d’un ami humaniste et généreux. Sous ses remarques abruptes et sévères pointait toujours le désir d’aider ses collaborateurs à progresser, à s’affirmer et à réfléchir. Le champ de la réflexion vers lequel il nous poussait dépassait le périmètre de nos recherches en géosciences. Ainsi ai-je eu avec lui et à son initiative, des discussions à caractère philosophique sur la vie, les choix qu’elle nous offre ou non, et sur la religion. Me sachant non-croyante, il m’a même invitée à une veillée de réflexion à l’abbaye de Landevennec, sur le thème « l’amour de Dieu et les béatitudes ». Ce fut le point de départ pour moi de l’établissement de relations à caractère amical avec le Père Abbé, qui m’a invitée par la suite à faire des conférences à l’abbaye. En 1979, il a même accepté (pour lui et les moines intéressés) mon invitation à venir visiter le navire de forage américain Glomar Challenger de passage à Brest. Il va de soi, et cet exposé le met en exergue, que je dois à Xavier le Pichon mon entrée au CNEXO et la poursuite de ma formation par la recherche… »
- « - le Directeur Général du CNEXO Jacques Perrot, que j’ai rencontré pour la première fois en 1974, dans le cadre de la coopération franco-allemande relative à l’exploration des nodules polymétalliques dans l’Océan Pacifique. Parlant allemand et connaissant une partie des homologues allemands concernés, j’ai participé pendant plusieurs années aux réunions bilatérales dédiées à cette coopération et présidées par Jacques Perrot pour le côté français. C’est dans ce contexte que ce dernier m’a connue et m’a progressivement accordé son amitié, en m’ouvrant, lui aussi, de nouveaux horizons. Ce fut notamment le cas en 1984, lorsque je souhaitais quitter le BNDO pour aller vers d’autres fonctions. Dans l’attente de la concrétisation éventuelle de l’une ou l’autre des pistes que j’entrevoyais, il m’a fait connaître le rôle et l’intérêt du CHEAR. Il m’a alors incitée à me porter candidate pour participer, en tant qu’auditrice, à la 22ème Session nationale (1985/1986). En tant que Contrôleur Général des Armées ayant participé à la création du CHEAR et ayant été son premier directeur des études (1964/1967), il était particulièrement bien placé à la fois pour me conseiller et pour soutenir ma candidature auprès du Directeur du CHEAR de l’époque. Ce soutien fut essentiel, car pour être choisie par le Premier ministre au niveau national au sein d’une promotion de 50 auditeurs qui ne comptait que cinq femmes, il fallait ajouter de solides recommandations à un profil et une expérience adaptés. Il fallait aussi l’accord et l’appui de la Direction Générale de l’Ifremer. Ils me furent donnés, sans difficulté, par Yves Sillard, PDG et lui-même Ingénieur Général de l’Armement.
Cinq ans plus tard, je postulais pour participer à la session nationale de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN), encore enthousiasmée par cette année au CHEAR, si enrichissante et enthousiasmante, aussi bien à Paris que lors de nombreux voyages en France, en Europe et en Asie. Ceci eu lieu à l’issue de mon départ de la direction du centre Ifremer de Brest, en 1990. Comme à chaque grande étape professionnelle, j’éprouvais alors le besoin d’aller vers de nouveaux horizons. Deux Amiraux m’ont soutenue dans mes démarches de candidature : l’Amiral Leenhardt, haut conseiller Naval auprès du PDG de l’Ifremer, et l’Amiral Dominique Lefebvre , Préfet maritime de l’Atlantique (que j’ai assisté durant plusieurs années en tant que Directeur du Cedre). En 1990/1991, ma candidature a été retenue et j’ai ainsi eu l’honneur de participer à la 43ème session nationale de l’IHEDN, tout en étant Directeur du Cedre comme pendant l’année du CHEAR.
Si toutes les personnalités précitées ont joué un rôle plus ou moins important dans l’orientation de mon parcours professionnel, il en est deux qui m’ont accompagnée tout au long de celui-ci, en participant à ma formation par l’exemple: le Pr Seibold, déjà évoqué de ce point de vue, et Jacques Perrot, dont j’ai profondément admiré la personnalité et la carrière, tout à fait exceptionnelles. »
Celle des chances offertes et saisies.
Il vient d’être beaucoup question de chances, mais Marthe Melguen souhaite à présent évoquer celles qui sont offertes de façon totalement imprévue et qu’il faut savoir saisir même si l’on n’y est pas préparé. Trois exemples lui viennent plus particulièrement à l’esprit :
- l’offre de Xavier le Pichon de diriger la campagne GEOBRESIL et ce deux années après son embauche au CNEXO, alors qu’elle n’avait aucune expérience en la matière. Cette campagne avait un caractère politique lié à la coopération franco-brésilienne. Yves la Prairie (PDG du CNEXO) et l’amiral Moreira da Silva (son homologue brésilien) devaient y participer, ce qui rendait l’enjeu d’autant plus important et risqué. Marthe Melguen n’avait alors que 30 ans et aucune femme n’avait encore été chef de mission à bord d’un des navires du CNEXO. C’était une forte prise de risques, ainsi qu’un important défi, mais qu’elle a relevé, saisissant la chance qui lui était offerte.
- celle du directeur du Cob, Jean Vicariot, de prendre la direction du BNDO en 1979. Cette mission était à caractère national et était servie par une équipe d’une trentaine de personnes, dont une majeure partie était constituée d’ingénieurs, d’informaticiens et de techniciens du traitement de données. C’était, là encore, très risqué puisque cela représentait une véritable rupture dans le parcours professionnel de Marthe Melguen. Elle avait néanmoins toute confiance dans le jugement et le soutien de Jean Vicariot.
- celle d’Yves Sillard, PDG de l’Ifremer, de prendre la suite de Jean Vicariot à la direction du centre Ifremer de Brest (en 1988), et ce tout en conservant la direction du Cedre. Marthe Melguen en a été très surprise et demeura, une fois de plus, consciente des enjeux et des risques. Elle a donc demandé deux ou trois jours de réflexion, une consultation du Directeur partant, puis a accepté. Elle quittera ce poste 18 mois plus tard, à la suite du changement de PDG de l’Ifremer, c’est-à-dire à l’arrivée de Pierre Papon. Cette fonction la conduira, notamment, à devenir membre du Comité économique et social (CESR) de Bretagne, durant trois ans. Cette expérience lui sera très utile ultérieurement, dans ses fonctions de DRRT et de chargée de mission auprès du Préfet de Région.
Celle de la détermination face aux défis à relever.
Si des chances d’une inestimable importance lui ont été offertes de façon imprévue, Marthe Melguen a également dû se battre avec grande détermination pour que d’autres lui soient accordées. Ce fut plus particulièrement le cas lorsqu’elle a postulé pour les postes suivants :
- celui du Cedre, fin 1985, pour lequel elle entrait en compétition avec sept autres candidats du sexe opposé. Cette dernière précision est importante car le jury ne paraissait pas du tout favorable à une candidature féminine. Celui-ci était, notamment, composé de représentants des ministères en charge de la Défense, de l’Environnement, de l’Equipement , de la Sécurité civile, ainsi que de représentants de la Mission Interministérielle de la Mer, de l’Institut Français du Pétrole (IFP) et de l’Union Française des Industries pétrolières (UFIP). Marthe Melguen a été mise à très rude épreuve, en particulier sur deux points: la difficulté potentielle de diriger le Cedre tout en étant deux jours par semaine auditrice au CHEAR, à Paris, sans compter les voyages prévus à l’étranger, car on lui demandait d’assurer un service opérationnel disponible 24H/24; et l'impossibilité considérée qu’une femme puisse intervenir dans certaines régions du monde, dont le Golfe Arabo-Persique.
Face à ce qui semblait être un « combat perdu d’avance », Marthe Melguen s’est défendue avec détermination. Elle a alors présenté sa décision d’aller au CHEAR comme étant irréversible, car correspondant à un choix prioritaire. Elle s’est également dite prête à porter le tchador autant que de besoin ! En définitive, cette détermination a été le point majeur pour faire pencher la balance en sa faveur.
- celui de la DRRT pour la Bretagne. C’était fin 1994, dans un contexte très flou du point de vue des attendus prioritaires du ministère mais aussi de concurrence avec un ingénieur du secteur des télécommunications qui était directeur de l’Ecole Nationale de Sciences appliquées et de Technologies (ENSSAT) de Lannion. Pendant plusieurs mois, cela se révéla être un parcours du combattant. La nomination de Marthe Melguen ne fut rendue publique et publiée au Journal Officiel qu’un an après le dépôt des candidatures. Ce fut une année d’attente en tant que chargée de mission à la préfecture de la région. Au-delà de la détermination qu’il lui a fallu pour obtenir ces deux postes, elle a ensuite dû faire face à de nombreux défis dans le cadre des fonctions considérées. Une chance qu’elle ait toujours aimé les relever et prouver qu’elle pouvait réussir là où son profil paraissait à priori ne pas convenir.
L’importance du goût de la création, associé à celui de la prospective et de l’orientation stratégique.
Marthe Melguen a eu grand plaisir à exprimer sa capacité de décision et de création dans tous les postes de direction, ou de délégation, dans lesquels il lui a été possible de le faire . Ce fut notamment le cas :
- au BNDO, où elle a, entre autres, contribué à la mise en place, en œuvre et à la valorisation, sur le plan international, de la chaîne de traitement des données du sondeur multifaisceaux Seabeam.
- au Cedre, avec l’élaboration du projet Euro-Cedre et sa participation active au montage de son financement. Ce fut également le cas avec la mise en place de nouvelles installations, d’abord prévues sur le Technopôle, puis implantées en définitive sur le polder près d’Océanopolis.
- à la BLP, où, au-delà de la mise en place et en œuvre d’un centre de documentation de qualité exceptionnelle sur la mer, Marthe Melguen a eu à faire des choix stratégiques en matière de documentation électronique et d’outils bibliométriques au service de la communauté scientifique et de sa production. Elle a été heureuse de constater, année après année, que ces choix étaient appréciés et validés par le comité stratégique de la BLP, ainsi que par son conseil de direction.
Celle du goût de la découverte et de l’attirance renouvelée vers de nouveaux horizons.
Cette importance est perceptible tout au long du parcours de Marthe Melguen. Ce goût n’est pas surprenant pour un chercheur. Dans son cas, il s’est confirmé et exprimé durant la totalité de son parcours professionnel. Celui-ci a constamment été marqué par un grand besoin de renouveau : lorsqu’elle n’avait plus rien, ou peu, à découvrir dans un poste donné, elle ressentait le besoin de ne pas accepter un certain immobilisme. Ces besoin est allé de paire avec celui de progression, et ce en dépit des efforts d’adaptation et du courage que chaque nouveau départ requérait.
L’existence d’autres « possibles » qui n’ont pas été saisis.
Ils sont apparus dès la période universitaire qui fut marquée par des hésitations entre la géologie marine et la géo-botannique. Cette dernière matière a beaucoup intéressé Marthe Melguen, tout comme la palynologie, qu’elle a choisie pour son sujet de DEA. Cet autre « possible » aurait pu se concrétiser puisque que le professeur de géologie marine considérait que le métier de chercheur n’était pas fait pour les femmes et lui recommandait donc vivement de préparer l’entrée à l’Ecole Normale Supérieure afin de se diriger vers l’enseignement. Dans le seul but de la décourager à poursuivre vers la recherche, il lui a fait faire une campagne de quinze jours en Manche, sur un tout petit bateau : le Gwalarn . Sur celui-ci, la couchette n’était séparée du moteur que par une cloison de bois et les repas se prenaient sur le pont, à l’air libre. Mais Marthe Melguen est revenue déterminée à continuer, en dépit d’un très mauvais temps. C’est alors qu’est arrivée l’offre pour l’Allemagne précédemment évoquée.
Par la suite, les autres « possibles » ont été liés, soit à des offres reçues de sa hiérarchie, soit à des initiatives personnelles. Les principaux ont été les suivants :
- Au département des géosciences marines, Marthe Melguen était très impliquée dans le programme de recherche sur les nodules polymétalliques. Gérard Piketty, PDG du CNEXO lui fit alors la proposition de devenir soit l’adjointe du Directeur Jacques Debyser (à la division « ressources de l’océan » et plus particulièrement pour le « programme nodules »), soit celle du Directeur de la Programmation et de la Coordination, Lucien Laubier (en s’occupant de la coordination des programmes de « géologie- géophysique et ressources minérales »). Malgré le grand intérêt de la proposition, Marthe Melguen l’a déclinée car elle ne souhaitait pas quitter Brest pour Paris, c’était en 1978.
- Au début de l’année 1985 et alors qu’elle souhaitait quitter le BNDO, Marthe Melguen a fait connaître à la direction générale de l’Ifremer son grand intérêt pour l’offre de poste publiée par le ministère des Affaires étrangères et relative au remplacement du conseiller scientifique de l’Ambassade de France à Washington. Ce conseiller était à l’époque un géologue que Marthe Melguen avait souvent rencontré à ladite ambassade, lors de ses voyages quasi annuels à Washington. En tant que directeur du BNDO, elle était tenue de collaborer avec la Banque mondiale des données océaniques au nom de la France. Elle considérait avoir le bon profil pour prétendre a ce poste, qui l’attirait particulièrement. Mais elle n’a pas été retenue par l’Ifremer, qui a préféré proposer la candidature d’un ingénieur. Cet épisode qui certes n’a pas eu de suite, est d’une certaine façon symbolique de l’intérêt constant qu’a eu Marthe Melguen pour la coopération internationale. Cet intérêt s’est fortement exprimé au BNDO, dans le cadre des coopérations conduites pour la Commission Océanographiques Intergouvernementale (COI) de l’Unesco, mais aussi au département des géosciences lors de la participation au « Deep Sea Drilling Program » (deux embarquements de près de 5 mois au total sur le navire de forage américain Glomar Challenger ) et tout particulièrement au Cedre où la lutte contre les pollutions accidentelles de la mer était une « lutte sans frontière ».
- En 1999, le PDG de l’Ifremer (Pierre David) lui a proposé de prendre la suite de Xavier le Pichon au poste de Secrétaire Générale du Comité Scientifique de l’Ifremer. Son offre était clairement liée à ses relations passées avec le Pr Le Pichon, qui étaient sensées, d’après lui, permettre à Marthe Melguen de « savoir faire».
Pour des raisons familiales, il lui était très difficile de quitter la Bretagne pour Paris. Elle n’a donc pas accepté cette offre et a préféré essayer de retrouver « un point de chute » à Brest, ce qui l’orienta vers la direction du CEDM.
La poursuite, au sortir d’une vie professionnelle bien remplie, de la recherche de « nouveaux possibles ».
A l’heure de la retraite, Marthe Melguen a pu apprécier le retour de sa liberté d’action, de loisir, ainsi que la perspective d’un retour à la nature et celle de la réalisation de projets personnels en attente, tels que la recherche sur les origines et l’histoire de sa famille. L’idée de s’investir dans de nouveaux engagements s’est imposée.
De plus, tentée depuis très longtemps de s’engager en politique, elle a saisi, pour ce faire, l’occasion des élections régionales de 2010. Persuadée que sa connaissance de la gestion des affaires régionales et des perspectives de développement économique régional par la recherche et l’innovation pouvaient rendre sa candidature intéressante, elle s’est présentée. C’était sans compter que les profils recherchés étaient en priorité ceux d’élus expérimentés et bien intégrés au sein de réseaux de militants mobilisables. Elle n’a donc pas eu d’offre d’un intérêt suffisant et a retiré sa candidature. Ce fut néanmoins une expérience intéressante, qui l’a conduite à retravailler sur son domaine d’intervention passé en tant que DRRT : le thème du « développement économique régional par la recherche et l’innovation ».
Rechercher, découvrir et tenter de mieux comprendre, demeurent des objectifs récurrents au cœur de sa dynamique personnelle.
Enfin, il va de soi que ces « nouveaux possibles » devront tenir compte des priorités qu’elle se fixe aujourd’hui, à savoir l’assistance à ceux de ses proches qui sont fragilisés par le très grand âge.