Henri Grizel, un bâtisseur au chevet des huîtres

Convaincu très tôt dans sa carrière d'étudier les maladies de l’huître sous l'angle à la fois de la pathologie, de la génétique et de la zootechnie, Henri Grizel a plaidé pour que l'institut se dote d'un outil adapté. La création de la station Ifremer de La Tremblade reste son plus haut fait d'arme. Déterminé et précis, ce Cévenol disert aime à évoquer les batailles qu'il a livrées dans l'exercice de son métier.

Rien ne laissait présager que son métier serait lié à la mer. Cévenol, mais avec toutefois une grand-mère bretonne, Henri Grizel a toujours eu une préférence pour les activités de montagne. Il se voyait vétérinaire, mais les aléas des concours l’ont amené à poursuivre des études de biologie. De parasitologie, plus précisément. Le directeur de l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes (ISTPM) Claude Maurin, professeur associé à l’université de Montpellier, où Henri Grizel étudiait, cherchait quelqu’un pour travailler sur la marteliose. « J’ai été recruté pour travailler sur cette pathologie, la première maladie à protozoaire de l’huître plate. Finalement, je suis retombé dans le travail de vétérinaire ! »

Les malheurs des huîtres et de l’ostréiculture

Trois maladies successives, de 1968 à 1978, ont bouleversé le panorama de l’ostréiculture. Une virose a décimé le cheptel d’huître creuse portugaise et deux maladies à protozooses ont affecté l’huître plate. Les cheptels atteints ont été en grande partie remplacés par l’huître creuse japonaise, introduite alors. Dans ces conditions, les débuts de la recherche sur les pathologies de l’huître ont été laborieux. Les moyens dont disposait l’ISTPM pour travailler en pathologie étaient très limités. « Après quelques mois à La Trinité-sur-Mer, j’ai pris pied à Nantes en 1972 pour m’occuper de l’installation d’un laboratoire dit central de pathologie. J’y ai passé deux ans, avec un microscope pour tout instrument ! », se rappelle Henri Grizel. A la faveur d’un accord avec l’université de Montpellier, le laboratoire central a ensuite déménagé à Sète. Durant cette période, le jeune chercheur s’est vite « rendu compte que pour travailler sur ces pathologies, il fallait non seulement un laboratoire équipé, mais aussi de nombreuses données en épidémiologie : connaître les pratiques d’élevage et les conditions environnementales, m’est apparu indispensable. » Il aspirait ainsi à lier davantage recherche et terrain.

Responsable de laboratoire

En 1975, Henri Grizel saisit au vol une opportunité de poste à la Trinité-sur-Mer qui correspond mieux à son mode de travail et à son envie d’assumer plus de responsabilités. « C’était une petite équipe ; nous étions quatre personnes à l’origine, le double à mon départ, onze ans plus tard. Mais le champ des responsabilités que couvrait à l’époque un responsable de laboratoire local était bien plus étendu qu’aujourd’hui. Outre la partie recherche et animation d’équipe, nous gérions en direct les relations avec les partenaires extérieurs et étions très proches des professionnels. Pour ma part, j’étais en lien avec les deux sections régionales de Bretagne et avec celle de Normandie. » Henri Grizel regrette la dilution des responsabilités et de la lisibilité qui s’est opérée depuis quelques années. Il l’attribue en grande partie à la réorganisation de l’Ifremer, qui a stoppé la décentralisation voulue « à juste titre » par le président-directeur-général Pierre David, et à l’inéquation des profils de personnels en place par rapport aux besoins requis par les fonctions.

Entente cordiale avec les professionnels

Henri Grizel a toujours conçu son métier au plus près des conchyliculteurs et s’est efforcé de tisser des liens forts avec les producteurs clés et reconnus par la profession. Il a ainsi pu apprendre leur manière de travailler, échanger avec eux et faire passer des messages. « Nous avons obtenu des avancées non négligeables, comme la méthode de captage du naissain à l’aide de coquilles de moules en boudin, qui se pratique toujours en eau profonde. Ce procédé a été mis au point grâce à la coopération d’un ostréiculteur phare de la baie de Quiberon, François Cadoret, et de la section régionale de Bretagne sud, qui avait mis son bateau à disposition. »

Des moments d’opposition

S’il mentionne bien d’autres exemples de coopération de ce type, il ne nie pas les épisodes d’affrontement. Très peu de temps après son arrivée à la Trinité, il prend part à une assemblée générale de la profession. Sur l’estrade, le jeune chercheur se retrouve entre l’administrateur des Affaires maritimes et le président de la section régionale conchylicole. « Face à quatre cents personnes assez remontées, il a fallu convaincre une partie de l’assemblée qu’il s’agissait bien d’une maladie, démonter les contre-vérités et faire des propositions constructives. Ce type de situations forgent le tempérament, poussent à la clarté et à la synthèse. En situation de crise, il faut consacrer du temps à ce travail d’information et aller rencontrer les ostréiculteurs sur leur site de travail. » Henri Grizel insiste sur la nécessité de parler en priorité à ceux qui ont le plus de tempérament, « sans craindre de prendre des coups ». Il faut également savoir sortir si nécessaire « d’un schéma ifremérien classique ». Ainsi à Sète, où il est retourné de 1995 à 2004, il a dû gérer la première crise de l’algue toxique Alexandrium, qui depuis contamine périodiquement les coquillages de l’étang de Thau. Le laboratoire d’environnement littoral sétois procédait classiquement à des analyses de moules une fois par semaine. La crise survenant à deux mois des fêtes de Noël, il convenait de prendre en compte à la fois les données de la littérature, qui montrent que l’accumulation et la détoxification des toxines se fait différemment selon les espèces de mollusques, et le contexte explosif d’une fermeture pour tous les coquillages. Henri Grizel a insisté auprès du responsable du département Environnement littoral de l’époque, Bruno Barnouin, pour que les revendications des producteurs soient entendues : ils demandaient des analyses sur plusieurs espèces, en particulier l’huître et la palourde. « Si nous étions restés sur notre fonctionnement habituel, cela se serait certainement très mal passé avec les professionnels. Avec cette adaptation conjoncturelle, mais étayée, le préfet a pu rouvrir la vente des huîtres et des palourdes trois semaine avant les moules. »

Le projet de La Tremblade

Le centre de recherche de La Tremblade, c’est un peu son bébé. Il y a consacré treize années de sa carrière : quatre à mûrir le projet et neuf sur place, de 1986 à 1995. L’idée d’un centre étudiant les questions de pathologie et de génétique des mollusques bivalves avait déjà pris forme au cours des années 70. « J’ai effectué plusieurs missions aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne pour bien définir les besoins de l’outil écloserie. Le coup d’envoi est parti. du temps de l’ISTPM, en 1982, grâce à Claude Maurin et Blavin. » La fusion avec le Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo), en 1984, a dynamisé le projet, le président du tout nouvel Ifremer, Yves Sillard, ayant dégagé des financements complémentaires à ceux de l’ISTPM, de la région Poitou-Charentes et de Pierre Balay, de la direction des Pêches maritimes et de l’agriculture, qui a soutenu le projet. Le site retenu, en accord avec son collègue et ami du Cnexo Jean-Pierre Flasch, proche du laboratoire ISTPM de Charente-Maritime, permettait de rapprocher les équipes sur place. Une équipe de pathologistes s’est installée en juin 1986, suivis très rapidement par des généticiens et de zootechniciens recrutés pour l’écloserie. « Nous étions peu nombreux au départ, mais l’effectif a été multiplié par quatre en trois ans. » Les programmes lancés dans cette nouvelle station bien équipée et originale par son concept ont permis d’obtenir des résultats important, comme la mise au point de techniques originales pour la triploïdisation des huîtres creuses, qui représentent aujourd’hui plus de 25 % de la production nationale.

Reconnaissance internationale

La conjoncture européenne était favorable à la rapide montée en puissance du centre. L’élaboration de règles régissant les échanges de mollusques intracommunautaires et avec les pays tiers était en effet à l’ordre du jour. Fort des travaux déjà menés en épidémiologie à La Trinité et dont le développement se poursuivait à La Tremblade, Henri Grizel participait régulièrement aux discussions à Bruxelles, qui ont abouti à la directive 91/67, largement complétée depuis. « C’est nous qui avions le meilleur background sur le plan épidémiologique. Il était logique que nous soyons choisi comme laboratoire européen de référence pour les maladies des mollusques », déclare Henri Grizel sans fausse modestie. Au niveau international, la reconnaissance est venue de l’Office international des épizooties (OIE). A l’initiative d’un collègue vétérinaire, Henri Grizel a participé, en tant qu’expert mollusques, à l’élaboration des normes du Code sanitaire international et du Manuel de diagnostic pour les maladies des animaux aquatiques. Ces deux documents ont été élaborés dans un esprit de normalisation des différentes règles élaborées par les principaux pays producteurs. Tout naturellement, La Tremblade a été désignée comme laboratoire international de référence auprès de l’OIE pour les maladies des mollusques. « La boucle était bouclée », conclut-il.

Précieuses racines

Pourquoi alors a-t-il quitté le centre dans lequel il avait investi tant d’énergie ? « C’est dans mon caractère, explique Henri Grizel. Tout était sur rail, je commençais à éprouver une certaine monotonie… » Il confie avoir aussi aspiré à revenir un peu vers ses racines. Et au hasard d’une mission dans le Languedoc, il apprend que le responsable de la station de Sète souhaite passer à autre chose. Il fait le tour du laboratoire, discute avec les uns et les autres, et finalement propose de prendre la relève. « C’était un poste un peu plus administratif, mais toujours très en prise avec le monde scientifique, les instances régionales et les producteurs. J’ai été amené à jouer un rôle beaucoup plus fort dans les relations avec la région et les autres organismes de recherche. Nous étions amenés à préparer ensemble les contrats de plan Etat-région. » Avec à la clef, notamment, la nouvelle station commune à l’Ifremer, l’Institut de recherche pour le développement et l’université de Montpellier. Il est resté six ans à la tête de la station, puis encore deux ans sur place à réaliser un atlas d’histologie et de cytologie des mollusques bivalves marins, cofinancé par l’OIE. Un document de référence, dont la rédaction a nécessité la participation d’équipes d’un grand nombre de laboratoires français.

Escale de montagne

L’atlas fini, Henri Grizel s’est retrouvé désoeuvré. Le poste de délégué régional de la petite station de la Réunion est tombé à pic… et n’a certainement pas déplu à l’amateur de marche en montagne. Le deal proposé par Jean-François Minster, alors président de l’Ifremer, lui convenait parfaitement : évaluer la situation sur place, les forces et les faiblesses, faire des propositions de nouveaux programmes et les mettre en œuvre. Il lui a fallu changer totalement d’activité de recherche, découvrir plus en détail les activités halieutiques, s’intéresser à la biodiversité et à sa préservation, favoriser le développement d’activités relatives à la connaissance et à la préservation des milieux et monter des dossiers dans différents domaines avec les équipes Ifremer de métropole (transformation des produits de la mer, technologie des pêches, etc.). Un changement de cap qui a permis à Henri Grizel d’appliquer une nouvelle fois la devise qu’il s’est choisie et qui a éclairé sa carrière : « On peut bâtir quelque chose de beau avec les pierres qui entravent le chemin. »

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