Jean-René Le Coz, un chimiste au pied marin

L’expérience en mer est au cœur de la vie de Jean-René Le Coz. Pourtant, il est venu à l’océanographie par hasard, pas par vocation. Il parle avec humour de sa carrière de chimiste, qui lui a fait connaître la recherche dans les grands fonds et en aquaculture.

Pour un natif de la presqu’île de Crozon, la mer s’impose comme une évidence. Jean-René Le Coz, aussi à l’aise sur une planche à voile ou un bateau que Lucky Luke sur son cheval, aurait certainement pu être marin. Mais il a suivi son goût pour les sciences, et notamment pour la chimie. Au sein du Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo), il a su passer de la chimie minérale à celle du vivant, participant durant douze ans à de mémorables campagnes avec les équipes du milieu profond et du plancton. Il s’est ensuite spécialisé dans la chromatographie des stérols et acides gras pour le compte de l’aquaculture des mollusques. S’il a regretté de ne plus aller en mer dans son travail, nul doute qu’il s’est largement rattrapé sur son temps libre !

Plein gaz

Dans la foulée de l’obtention d’un BTS de chimie analytique, à Angers, en 1968, il a vent de la création d’un centre océanologique basé à Brest et s’empresse de présenter sa candidature. Mais l’heure n’est pas encore à l’embauche de chimistes, et le jeune homme commence sa vie professionnelle ailleurs. Il passe un an à la poudrerie de Pont-de-Buis, dans les poudres et explosifs, puis monte en grade à la faveur d’un concours qui le conduit à la section technique de l’armement. Paris ne lui plaisait pas vraiment et les gaz de combats ne le passionnaient guère… C’est alors qu’il reçut un appel du chef du personnel du Cnexo, où son dossier avait fini par remonter à la surface. « J’ai accepté l’océanographie sans hésiter, même si je perdais pas mal de salaire. D’autant que j’étais trop heureux de revenir dans la région », résume Jean-René Le Coz.

Deux casquettes

Il est embauché le premier décembre 1972 au Département scientifique de Brest. Deux équipes de biologie avaient besoin d’un chimiste : celle des abysses, avec Daniel Reyss, Myriam Sibuet et Pierre Chardy autour de Lucien Laubier ; et celle du pélagique, avec notamment Jean Boucher et Jean-François Samain autour de Alain Thiriot. Dans l’abyssal, Jean-René Le Coz étudie la quantité de carbone organique présente dans les sédiments. Il participe aux campagnes biologie du golfe de Gascogne et au travail de tri par espèce des animaux enfouis dans le sédiment prélevé. « Tout le monde s’y mettait ! Tout en bavardant autour d’une grande paillasse qui comptait quatre ou cinq loupes binoculaires, nous nous occupions de répartir les polychètes, les échinodermes, les cumacés, les tanaidacés et autres dans de petites coupelles. Je n’y connaissais rien, j’ai appris sur le tas. » Côté pélagique, le travail consiste à mener des analyses biochimiques du plancton, pour étudier les enzymes digestives. Habitué à travailler sur les échantillons inertes de la chimie minérale, Jean-René Le Coz a eu un peu de mal, au début, à s’adapter « au côté évolution des échantillons » de biochimie. En chimie classique, le caillou posé sur la paillasse ne change pas d’un jour à l’autre, à l’inverse de la constitution d’un broyat de plancton. Là encore, le travail se doublait d’une activité de tri et d’identification des copépodes qui composent le zooplancton.

Des campagnes agitées

Jean-René Le Coz peut se féliciter d’avoir l’estomac bien accroché. Ni les campagnes hivernales du golfe de Gascogne, ni celles des côtes africaines balayées par les alizés, ces vents à l’origine des upwellings, ces remontées d’eau froide riches en sels minéraux, n’étaient de tout repos. Il aimait la disparition de la hiérarchie qui s’opère en mer. Il aimait bien aussi le côté aventure. Il aimait encore voir du pays, même si les escales à terre étaient plutôt sporadiques, le summum de l’exotisme demeurant les folles nuits de Nouadhibou, « un patelin du désert mauritanien qui a eu son heure de gloire à la grande époque des langoustiers de Camaret », plaisante-t-il. Trente ans plus tard, l’ancien Port-Etienne implanté par les colons est tout de même la deuxième ville du pays, avec 100.000 habitants, et cristallise les espoirs de passage vers l’Europe des émigrants d’Afrique sub-saharienne…

Petites barques

Lors de ces campagnes au long cours, Jean-René Le Coz a fréquenté tous les anciens bateaux du Cnexo, du Jean-Charcot au Suroît, avec une prédilection pour le Cryos. Regretterait-il vaguement de ne pas avoir embarqué sur « les très gros », dont l’impressionnant Pourquoi Pas ? à côté duquel l’ Atalante ferait presque frêle ? A la façon dont il dépeint les missions menées à bord de petits bateaux côtiers à la suite du naufrage de l’ Amoco-Cadiz, en 1978, on peut en douter. Visiblement, il savait trouver du charme à une vie rustique : « Nous faisions du suivi de plancton dans la région touchée par la marée noire, tantôt sur la Thalia ou le Pluteus, un bateau d’une douzaine de mètres du CNRS de Roscoff, tantôt sur une barque de pêche empruntée à un ostréiculteur de l’aber Benoît. Nous en revenions bien mouillés ! » La palme de l’inconfort revient à un langoustinier, abusivement dénommé le Père Pénard, loué en renfort du Cryos dans le cadre d’une mission pas banale. Quinze jours durant, les quatre hommes d’équipage et les trois scientifiques (Jean-François Samain, Jean-Yves Daniel et Jean-René Le Coz) ont cohabité dans un carré qui servait à tout, adossé au moteur. « Nous dormions là dans des espèces de petites couchettes cercueils, dans les effluves de gasoil et de bottes, et nous triions les copépodes la nuit à la lueur d’une lampe de bureau alimentée par un groupe électrogène. Ceux qui connaissent la taille de ces bestioles apprécieront ! », s’amuse-t-il. Le prix à payer pour des repas entiers de langoustines fraîchement tirées du chalut…

Bifurcation vers l’aquaculture

Malgré ce goût pour les campagnes, Jean-René Le Coz a tout de même choisi de se fixer en aquaculture des mollusques. En 1984, à l’arrêt du programme sur le plancton, il aurait pu demander à rester dans l’équipe des grands fonds, mais il fallait faire un choix. Jean-François Samain prend d’ailleurs la même décision. La technologie commence alors à faire de sérieux progrès par rapport aux années 1970, quand la plus sophistiquée des calculatrices, capable d’effectuer les quatre opérations, coûtait deux mois de salaire… Jean-René Le Coz se spécialise dans la chromatographie, un procédé technique qui permet de séparer des molécules d'un mélange complexe. Il acquiert la maîtrise de deux des différentes techniques : la chromatographie en phase liquide, ou HPLC, et la chromatographie en phase gazeuse.

Spécialisation

Une chromatographie a pour but de séparer, d’identifier ou de purifier les différentes composantes d’un mélange. Celui-ci est entraîné par un courant de phase mobile (liquide, gaz ou fluide supercritique) le long d'une phase stationnaire (papier, silice, etc.). Chaque composante se déplace à une vitesse propre dépendant de ses caractéristiques et de celles des deux phases. « Une chromatographie évidente pour tout le monde, c’est la chromatographie en couche mince. Imaginez par exemple que vous renversez un pot de peinture sur votre plancher, vous verrez alors différentes auréoles apparaître sur le plafond du voisin du dessous. Chacun des composants de la peinture aura migré plus ou moins vite dans le plâtre », explique simplement Jean-René Le Coz, sans volonté aucune de susciter des querelles de voisinage… Il s’est plus particulièrement spécialisé dans les analyses de stérols et d’acides gras. En analysant des microalgues, on définit leur profil en stérols. En analysant ensuite des huîtres, on peut retrouver quelles microalgues elles ont mangées, et ce qu’elles en ont gardé. L’objectif était d’étudier l’alimentation des huîtres.

Huître et crevette de Tahiti

Si l’essentiel des analyses portait sur l’huître creuse et l’huître plate, ainsi que sur la coquille Saint-Jacques de la rade de Brest, Jean-René Le Coz a aussi été amené à décortiquer l’huître perlière. Au début des années 2000, les Tahitiens cherchaient à démarrer l’élevage de l’huître du lagon, qui était jusqu’alors uniquement exploitée par ramassage. Ils avaient besoin d’analyser le plancton du lagon pour choisir un mélange de microalgues de culture aussi performant que possible. La filière démarrait tout juste, et Jean-René Le Coz a effectué à Tahiti un séjour de quelques semaines pour contribuer aux analyses. Son deuxième séjour, en réalité, car il avait déjà fait la voyage dans le cadre de l’aquaculture de crevette. « La question qui m’occupait était la charge énergétique. La théorie veut qu’un être animal en bonne santé est plein d’énergie, représentée par des molécules dénommées ATP, qui se transforment en ADP en libérant des calories. Inversement, plus il est en mauvaise santé, moins il présente d’énergie. Je travaillais sur le dosage de ces différentes molécules. »

Le défi Morest

De 2001 à 2005, l’essentiel de son travail s’inscrivait dans le cadre du programme Morest, qui cherchait à comprendre les facteurs à l’origine de la surmortalité estivale des huîtres creuses. Complètement pluridisciplinaire, Morest mettait à contribution des chercheurs de spécialités diverses et de pays différents. Dans cet édifice participatif, Jean-René Le Coz a apporté sa contribution, toujours dans le domaine de la nutrition. Le succès du programme lui revient autant qu’à chacun des participants, même s’il se garde bien de s’en vanter.

Comité d’entreprise

Parallèlement à son travail de laboratoire, il a été élu CFDT au comité d’entreprise de Brest et au comité central d’entreprise depuis 1988. Il s’est surtout occupé des commissions de formation, centrales et locales avec, en particulier, la négociation de l’article de la convention d’entreprise sur la formation continue, permettant d’adapter les nouvelles lois sur la formation aux pratiques de l’Ifremer. Il a également participé activement aux commissions Loisirs vacances et Hygiène et sécurité. Une ouverture sur la vie d’entreprise qui lui a fait prendre du recul.

Des curiosités

Au cours de ses dernières années de travail, Jean-René Le Coz a eu l’occasion de se pencher sur le projet Shamash, dont l’objectif est de produire du carburant à partir de microalgues. Il lui revenait, d’analyser les acides gras pour aider au choix des algues et des méthodes de culture les plus adaptées à la production. Il part sans avoir vu la fin du programme, et en espérant son aboutissement, à l’heure où les énergies marines renouvelables font à nouveau parler d’elles. « Si jamais je mets du carburant à base de microalgues dans mon réservoir, je pourrai me dire que j’y ai apporté ma petite part…. »

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